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êtres sont de même nature et pensent diversement, ils ne sont pas un par le seul fait qu’ils ne pensent pas l’un comme l’autre. Par exemple, s’il suffisait aux hommes d’être hommes pour être un, le Christ, en recommandant ses disciples à son Père, n’aurait pas exprimé ce vœu : « Afin qu’ils soient un, comme nous (Jean, XVII, 11 ) ». Mais comme Paul et Apollo étaient deux hommes et pensaient de la même manière, l’apôtre a pu dire : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose (I Cor., III, 8 ) ». Quand donc on parle d’une seule chose sans spécifier quelle est cette seule chose et qu’il s’agit de plusieurs êtres, cela signifie identité de nature, identité d’essence sans diversité d’opinions ni de sentiments. Mais quand on désigne cette unité, cela peut s’entendre de plusieurs substances diverses ne formant qu’un tout. Ainsi l’âme et le corps ne sont certainement pas une seule chose : — qu’y a-t-il même de plus différent ? — à moins qu’on n’ajoute ou ne sous-entende l’espèce d’unité, c’est-à-dire un homme, ou un animal. Voilà pourquoi l’Apôtre dit : « Celui qui s’unit à une prostituée, devient un même corps avec elle ». Il ne dit pas ils sont une même chose, ou : c’est une même chose ; mais il ajoute le mot « corps », pour indiquer l’unité formée par l’union de deux objets différents, un corps d’homme et un corps de femme. Et quand il dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui ( Id., VI, 16, 17 ) », il ne dit pas : celui qui s’attache au Seigneur est un, ou : ils sont une seule chose ; mais il ajoute : « esprit ». Car l’esprit de Dieu et l’esprit de l’homme sont de nature différente ; mais, en s’unissant, ils forment un esprit de deux éléments divers, sauf que l’esprit de Dieu est heureux et parfait sans l’esprit de l’homme, tandis que l’esprit de l’homme n’est heureux qu’avec l’esprit de Dieu. Ce n’est pas sans raison, je pense, que dans l’Evangile selon saint Jean, le Seigneur disant de si grandes choses et parlant si souvent de l’unité, soit de celle qui existe entre lui et son Père, soit de celle qui existe entre nous, n’a jamais dit nulle part : afin que nous et eux soyions une seule chose, mais bien : « Afin qu’ils soient un, comme nous sommes un ( Jean, XVII, 11 ). » Donc le Père et le Fils sont un selon l’unité de substance, et il n’y a qu’un seul Dieu, un seul Grand, un seul Sage, comme nous l’avons dit. 5. Comment donc le Père serait-il plus grand ? S’il était plus grand, ce ne pourrait être que par la grandeur. Or, le Fils étant la grandeur du Père, et ne pouvant évidemment être plus grand que celui qui l’a engendré ; d’autre part, le Père ne pouvant être plus grand que la grandeur qui le fait grand, le Fils lui est donc égal. Et comment le Fils est-il égal, sinon par celui qui le fait être, et en qui l’être et la grandeur sont la même chose ? Que si le Père était plus grand par l’éternité, le Fils ne lui serait donc point égal en toute chose. Comment, en effet, lui serait-il égal ? Si vous dites que c’est par la grandeur, une grandeur à qui l’éternité manque, n’est plus égale. Sera-t-il égal en vertu et non en sagesse ? Mais comment la vertu qui est moins sage sera-t-elle égale ? Ou bien sera-t-il égal en sagesse, et non en puissance ? Mais comment une sagesse moins puissante sera-t-elle égale ? Il reste donc à dire que si l’égalité manque en quelque chose, elle manque en tout. Or, l’Ecriture nous crie : « Il n’a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu (Phil., II, 6. ) ». Donc tout ennemi de la vérité, pourvu qu’il n’ait pas rejeté l’autorité de l’Apôtre, est forcé de reconnaître que le Fils est égal à Dieu, au moins sur un point quelconque. Qu’il choisisse donc quel attribut il voudra ; il suffira d’un pour lui prouver que le Fils est égal en tout ce qui tient à sa substance.


CHAPITRE IV.

SUITE DU MÊME SUJET.

6. C’est ainsi que les vertus de l’âme humaine, dans quelque sens qu’on les entende et qu’on les distingue, ne sauraient être séparées : en sorte que ceux qui sont égaux en force, par exemple, le sont aussi en prudence, en tempérance et en justice. En effet, si vous dites que deux hommes sont égaux en force, mais que l’un l’emporte sur l’autre par la prudence, il s’ensuit que la force de cet autre est moins prudente ; par conséquent, ils ne sont plus égaux en force, puisque la force de l’un est plus prudente que celle de l’autre. Et ainsi en sera-t-il des autres vertus, si vous les examinez en détail. Car il ne s’agit pas des forces du corps, mais de celles de l’âme. A combien plus forte raison en est-il de même dans cette immuable et éternelle substance,