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de même, le Seigneur opère secrètement la création des êtres visibles, et dirige l’action extérieure des anges bons ou mauvais, des justes et des pécheurs, et tous les animaux selon les décrets de sa sagesse, la mesure des forces qu’il a départies à chacun, et l’opportunité des circonstances. En un mot, il agit sur la nature par la création, comme l’homme agit sur la terre par l’agriculture. D’où il suit qu’à l’aide de leurs opérations magiques les mauvais anges ne peuvent pas plus être considérés comme les créateurs des grenouilles et des serpents que les hommes pervers ne le sont des moissons dues à leurs travaux. 15. Jacob avait placé des branches de couleur, variée dans les canaux où ses brebis venaient boire, afin qu’elles conçussent en les regardant ; et néanmoins l’on ne peut dire qu’il créât en elles la variété des toisons. Bien plus, ni les brebis, ni les béliers ne furent par rapport à leurs agneaux les créateurs de cette variété. Seulement l’impression qui se fit en eux par la vue de ces diverses baguettes réagit nécessairement sur les fruits de leur reproduction, en sorte que les agneaux de la première saison étaient seuls marqués de différentes couleurs. Ce phénomène peut sans doute s’expliquer par la double réaction du cerveau sur les organes, et des organes sur le cerveau ; mais en dernière analyse il faut y reconnaître l’acte et la disposition de cette sagesse souveraine et éternelle, qui, par son immensité remplit tous les lieux, et qui, immuable en son essence, n’abandonne aucun des êtres soumis au changement, parce qu’elle les-a tous créés. Que les brebis de Jacob produisissent des agneaux et non des verges, ce frit le fait de cette sagesse immuable et cachée qui a créé toutes choses. Mais que la variété des verges influât sur la couleur des agneaux, ce fut au dehors le résultat de l’impression que produisit sur le cerveau des brebis la vue de ces verges, et au dedans ce fut la conséquence du mode de conception qu’elles ont reçu de la puissance intime du Créateur. Au reste, il serait trop long et peu nécessaire d’expliquer ici comment dans la mère les sensations du cerveau modifient la forme du foetus, et il suffit de dire qu’on ne saurait affirmer qu’elle crée le corps de son enfant. Et en effet, l’origine première de tout être sensible et corporel, non moins que le mode, la raison et la disposition qui le tirent du néant, et le revêtent de tel caractère plutôt que de tel autre, dérivent de l’Etre suprême qui est par essence la vie intelligente et incommunicable. Cet Etre premier et souverain domine tous les êtres, et il les soumet tous, même les plus petits et les plus obscurs, à l’action de ses lois. Je n’ai donc rappelé le fait des troupeaux de Jacob que pour avoir occasion de dire que, malgré l’industrie avec laquelle il disposa ses baguettes, il ne fut point à l’égard des agneaux, ni des chevreaux, le créateur des variétés de leurs toisons. On ne peut non plus le dire des mères qui agirent seulement selon les lois de la nature, en maculant leurs fruits des taches dont leurs yeux avaient été constamment frappés. Mais surtout, nous sommes bien moins encore autorisés à soutenir que les mauvais anges créèrent les serpents et les grenouilles que tirent paraître les magiciens de Pharaon.


CHAPITRE IX.

TOUTES LES CAUSES ONT LEUR PRINCIPE EN DIEU.

16. Et en effet, autre est le pouvoir de créer et de régir une créature quelconque, comme cause première et efficace de toute existence : or, ce pouvoir n’appartient qu’au Dieu qui a créé toutes choses ; et autre est la faculté d’agir au dehors dans la limite des forces et des moyens qu’il nous donne, en sorte que nous fassions à notre gré paraître ou disparaître cet être que le Seigneur aura créé et que nous en changions la forme et les qualités. Et en effet, cet être existe originairement et primitivement dans l’ensemble des éléments, et il lui suffit de rencontrer un milieu favorable pour qu’il se produise soudain. Ne disons-nous pas qu’une mère est enceinte de son enfant ? et de même, l’univers est plein d’embryons qui ne demandent qu’à se développer, et dont la création est l’œuvre de cette essence suprême sans laquelle rien ne saurait ni naître, ni mourir, ni venir à l’existence, ni disparaître. Mais il faut raisonner autrement de l’emploi extérieur des causes secondes. Quoique souvent miraculeuses, elles n’en suivent pas moins les lois de la nature, en ce sens qu’elles favorisent le développement rapide et soudain de certains êtres qui reposaient cachés et inconnus dans le sein de la nature. Or, nous disons que ces êtres sont créés, parce qu’ils s’épanouissent au dehors par l’extension des