Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/374

Cette page n’a pas encore été corrigée

me qualifiez-vous de bon maître ? En tant qu’homme, et tel que vous me voyez, je me manifesterai aux bons et aux méchants dans le jugement général, mais pour les méchants, cette manifestation ne sera qu’un premier supplice. Les bons au contraire seront admis à nie voir en cette nature divine, en laquelle je n’ai pas cru que ce fût pour moi une usurpation de m’égaler à Dieu, et que je n’ai point quittée lorsqu’en m’anéantissant moi-même, j’ai pris la forme d’esclave ( Philipp., II, 6, 7 ).

Concluons donc que le Dieu qui ne se manifestera qu’aux justes, et qui les remplira d’une joie que personne ne leur ôtera, est le Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit. C’est vers cette joie que soupirait le psalmiste quand il s’écriait : « J’ai demandé une grâce au Seigneur, et je la lui demanderai encore, d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour y contempler la maison du Seigneur ( Ps., XXVI, 4 ) ». Ainsi Dieu seul est excellemment l’être bon, parce que sa vue, loin de causer à l’âme quelque peine, ou quelque douleur, lui est un principe de salut et une source de joie véritable. Dans ce sens, et selon sa divinité, Jésus-Christ pouvait réellement dire : Je suis bon. Mais comme le jeune homme qui l’interrogeait, ne considérait en lui que l’humanité, il lui répondit avec non moins de raison Pourquoi m’appelez-vous bon ? car si vous êtes du nombre de ceux dont un prophète a dit « qu’ils regarderont vers Celui qu’ils ont percé ( Zach., XII, 10 ) », la vue de mon humanité ne sera pour vous, comme pour eux, qu’une douleur et un supplice. Cette parole du Sauveur : « Pourquoi m’appelez-vous bon ? « Dieu seul est bon » ; et les autres textes que j’ai cités, me semblent prouver que cette vision qui est exclusivement réservée aux élus, et qui fera que l’œil de l’homme contemplera l’essence divine, n’est pas différente de celle que saint Paul nomme « face à face ( I Cor., XIII, 12 ) », et dont l’apôtre saint Jean a dit « qu’elle nous rendra semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est ( I Jean, III, 2 ) ». C’est de cette vision que parlait le psalmiste quand il s’écriait : « J’ai demandé une grâce au Seigneur, de contempler la beauté du Seigneur ( Ps., XXVI, 7 ) ». Et Jésus-Christ lui-même a dit : « Je l’aimerai, et je « me manifesterai à lui ( Jean, XIV, 21 ) ». Aussi devons-nous purifier nos cœurs par la foi, car il est dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ( Matt., V, 8 ) ». Une lecture assidue de nos Ecritures et surtout le regard de l’amour nous fourniraient encore sur cette vision béatifique mille textes épars çà et là, et non moins concluants ; mais j’en ai rapporté assez pour être en droit de conclure que cette vision est le bien suprême de l’homme, et que sa possession doit être le but et le terme de toutes nos bonnes œuvres.

Quant à cette autre vision qui sera celle de l’humanité sainte de Jésus-Christ, et qui aura lieu, lorsque toutes les nations seront rassemblées devant lui, et que les pécheurs lui-diront : « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soif ? » il est certain qu’elle ne sera ni un bien pour les méchants condamnés aux flammes éternelles, ni le bien suprême pour les élus. Car le Juge souverain les appellera à prendre possession du royaume qui leur a été préparé dès le commencement du monde. « Allez au feu éternel », dira-t-il aux méchants. Et aux bons : « Venez les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a « été préparé,( Matt., XXV, 37, 41 ) ». Et alors, continue l’Evangéliste, « les méchants iront au feu éternel, et les bons à la vie éternelle ». Or, la vie éternelle consiste, selon la parole du Sauveur lui-même, en ce « qu’ils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé », mais Jésus-Christ vu en cette gloire, au sujet de laquelle il disait à son Père : « Glorifiez-moi de la gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût ( Jean, XVII, 3, 5 ) ». Ce sera aussi alors que le Fils remettra le royaume à Dieu, son Père, et que le bon serviteur entrera dans la joie de son Maître. Jésus-Christ cachera donc les élus de Dieu dans le secret de sa face, et il les protégera contre le trouble et l’effroi des hommes, c’est-à-dire des méchants que la sentence du souverain Juge frappera de terreur et de consternation. Mais le juste n’aura rien à craindre parce que caché dans l’intérieur du tabernacle, c’est-à-dire en la foi de l’Église catholique, il sera à l’abri de la contradiction des langues, c’est-à-dire des calomnies des hérétiques.

Il est permis d’expliquer autrement ces paroles : « Pourquoi m’appelez-vous bon ? et Dieu seul est bon » ; et, on peut le faire en toute sûreté, et de diverses manières, pourvu qu’on ne croie point que le Fils, en tant qu’il