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Dieu sans Dieu. Or, je ne dis pas quel chrétien, mais quel insensé oserait avancer une telle extravagance ?

Voici donc, selon l’Apôtre, ce que la véritable, la sainte et fidèle patience dit par la bouche des saints dans les transports de sa joie : « Qui me séparera de l’amour de Jésus-Christ ? sera-ce l’affliction ? les angoisses ? la persécution ? la faim ou la nudité ? les périls, ou le fer et la violence ? car, selon qu’il est écrit, nous sommes tous les jours égorgés pour l’amour de vous ; on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans tous ces maux nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés  ». Ce n’est donc pas par nous-mêmes, mais « par Celui qui nous a aimés ». Et ensuite : « Je suis assuré », ajoute ce grand Apôtre, « que ni la mort ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni tout ce qu’il y a au plus haut des cieux ou au plus profond des enfers, ni enfin aucune créature ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur  ». Voilà quel est cet amour de Dieu qui est « répandu dans nos cœurs », non par nous-mêmes, mais « par le Saint-Esprit qui nous est donné  » ; au lieu que la cupidité qui produit la fausse patience dans les méchants vient « du monde, et non pas du Père  », comme dit l’apôtre saint Jean.

CHAPITRE XIX. AUTRE OBJECTION : RÉPONSE.

16. Mais, dira quelqu’un, si c’est du monde que vient cette cupidité des méchants, qui leur fait souffrir avec fermeté tous les maux qui se rencontrent dans la poursuite de ce qu’ils aiment ; comment peut-on dire qu’elle vient de leur volonté ? C’est qu’ils sont eux-mêmes du monde et qu’ils appartiennent au monde, parce qu’ils aiment le monde, jusqu’à abandonner Celui qui a fait le monde ; car « ils s’asservissent à la créature, au lieu de servir le Créateur qui est « béni dans tous les siècles  ». Ainsi il est clair que la volonté des méchants vient toujours « du monde », soit que l’apôtre saint Jean ait voulu marquer par ce mot-là, les amateurs du monde, ou ce qui est renfermé dans l’enceinte du ciel et de la terre, c’est-à-dire toutes les créatures ; parce que toute volonté de la créature qui ne vient point du Créateur, vient du monde.

C’est pour cela que Jésus-Christ disait à des amateurs du monde : « Vous êtes d’ici-bas, et moi je suis d’en-haut ; vous êtes de ce monde, et moi je ne suis pas de ce monde  » ; tandis qu’il disait à ses Apôtres : « Si vous étiez du monde, le monde vous aimerait, parce que vous seriez à lui  ». De peur cependant qu’ils ne s’attribuassent plus qu’il ne leur appartenait, et qu’ils ne se crussent redevables à la nature et non à la grâce de ce qu’ils n’étaient pas du monde, Jésus-Christ ajoute aussitôt : « Parce que vous n’êtes pas du monde,et que je vous ai choisis, séparés du monde, c’est pour cela que le monde vous hait  ». Ils n’étaient donc pas du monde, il est vrai ; mais c’est qu’ils avaient été choisis et séparés du monde, pour n’en être pas.

CHAPITRE XX. LA GRACE PRÉVENANTE.

17. Or nous apprenons de l’Apôtre que ce choix n’est fondé sur aucun mérite de bonnes œuvres faites auparavant, mais que c’est un choix et une élection de grâce. Ce saint Apôtre a dit formellement que « le petit nombre que Dieu s’est réservé, est sauvé par une élection de grâce : que si c’est par grâce », ajoute-t-il, « ce n’est donc pas par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus grâce  ».

C’est cette élection de grâce, c’est-à-dire ce choix que Dieu fait des hommes par pure grâce, qui prévient dans l’homme tout ce qui lui peut tenir lieu de quelque mérite ; car si les hommes étaient choisis en considération de quelque mérite, cette élection serait le paiement d’une dette, et non pas un présent gratuit ; et par conséquent elle ne mériterait pas le nom de grâce ; « la récompense », comme dit le même Apôtre, « n’étant pas regardée comme une grâce, mais comme une dette  ». Si au contraire elle est véritablement grâce, c’est-à-dire parfaitement gratuite, on ne peut pas dire qu’elle trouve rien en l’homme en considération de quoi elle lui soit donnée. C’est ce que l’Ecriture nous déclare nettement,