Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
275
DE LA DIVINATION DES DÉMONS.


les déclare, mais même quand notre pensée les a simplement conçues, si toutefois certains signes de notre corps les ont exprimées et trahies hors de notre esprit. De là, bien des prédictions de choses à venir, étonnantes pour d’autres personnes qui ne connaissent pas ces dispositions secrètes. En effet, comme un mouvement trop vif de notre âme se reflète sur notre visage, de façon que nos semblables reconnaîtront à ces traits extérieurs ce qui se passe en notre intérieur ; ainsi ne doit-il pas paraître incroyable que des pensées même plus calmes donnent sur notre corps certains signes que le sens moins délicat des hommes ne peut saisir, tandis qu’il peut l’être par le sens bien plus pénétrant des démons.

CHAPITRE VI.
QUE, LE PLUS SOUVENT, LES DÉMONS SONT TROMPÉS ET TROMPEURS.

10. Avec cette faculté si puissante, les démons font quelques prédictions, sans jamais approcher, même de loin, de cette hauteur prophétique à laquelle Dieu élève ses saints anges et ses prophètes. Car si les malins esprits annoncent d’avance quelque chose des desseins de Dieu, c’est qu’ils l’ont entendu pour l’annoncer ; et quand ils prédisent ainsi ce qu’ils entendent par cette voie, ils ne sont ni trompés ni trompeurs, puisque les oracles angéliques ou prophétiques sont infaillibles. On aurait tort, au surplus, de trouver inconvenantes ces quelques prédictions qu’il est donné aux démons d’entendre et de nous répéter : une chose qu’on dit pour la faire savoir à tous, peut, sans inconvenance, passer par la bouche non-seulement des bons, mais des méchants eux-mêmes. Ne voyons-nous pas, dans la société, les hommes pervers aussi bien que les justes célébrer les maximes de la saine morale ? Et, loin de perdre son prestige sur les lèvres de gens qui la contredisent par leurs mœurs dépravées, la vérité y gagne d’être plus connue, plus en renom, quand ils disent ce qu’ils en savent. — Dans leurs autres prédictions, au contraire, les démons, la plupart du temps, sont trompés et trompeurs. Ils sont trompés, parce qu’au moment où ils révèlent leurs intentions, un ordre imprévu part d’en haut qui bouleverse tous leurs desseins. C’est ainsi que quand des subalternes méchants prennent certaines dispositions qu’ils espèrent ne devoir pas être entravées par leurs supérieurs, et qu’ils s’engagent ainsi à réaliser, il arrive, au contraire, que ceux-ci, aux mains desquels est le pouvoir principal, empêchent tout à coup par un ordre suprême le fait déjà arrangé et préparé. Ils sont trompés, encore, lorsque, comme nos médecins, nos navigateurs, nos agriculteurs, et même avec une sagacité et une pénétration beaucoup plus habiles et plus subtiles, puisque leur nature jouit de sens plus fins et plus exercés, ils prédisent certains événements d’après la science de leurs causes naturelles ; ces événements, en effet, sont changés d’une façon soudaine et imprévue et subissent une disposition nouvelle et inconnue aux démons, par le ministère des anges, pieux serviteurs du Dieu suprême. Ainsi un accident extérieur vient frapper de mort un malade auquel un médecin avait promis la vie, d’après certains symptômes antérieurs et vraiment favorables. Ainsi encore, prévoyant l’état de l’atmosphère, quelque navigateur avait pu prédire une longue durée à ce vent d’orage auquel Notre-Seigneur, embarqué avec ses disciples, commanda de s’apaiser, « et un grand calme régna sur-le-« champ »[1] ». C’est enfin comme si un agriculteur garantissait pour telle année la fécondité heureuse d’une vigne, d’après la connaissance qu’il a de la nature du terrain et de la quantité des bourgeons ; et que cependant, cette année même, la vigne fût desséchée par l’état imprévu d’un ciel inclément ou arrachée par ordre supérieur. Pareillement nombre de faits sont soumis à la prescience des démons et peuvent être prédits par eux, parce que des causes d’un ordre inférieur et ordinaire permettent de les prévoir dans l’avenir ; mais ces mêmes faits sont empêchés et changés par des causes majeures et plus secrètes.

D’autre part, les démons nous trompent aussi, pour le seul plaisir de tromper, et par cet esprit d’envie qui les fait se réjouir de nos erreurs. Mais pour ne pas perdre auprès de leurs sectaires leur crédit et leur autorité, ils font en sorte que la faute, quand ils sont trompés ou qu’ils ont menti, soit attribuée à leurs interprètes et à ceux qui font métier de conjecturer d’après leurs signes.

11. Où donc est la merveille, si à l’heure imminente, et d’ailleurs depuis si longtemps prédite par les prophètes du vrai Dieu, où de-

  1. Matt. VIII, 26.