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DE LA DIVINATION DES DÉMONS.


cette longue expérience qui leur a fait apprendre mille choses dont ils ont la prescience et font la prédiction, c’est un avantage que méprise quiconque s’étudie soigneusement à tout juger d’après les pures lumières de la vérité. Dans ces conditions, un jeune adolescent, vraiment honnête, ne se croira pas inférieur à un détestable vieillard qui, pour avoir beaucoup expérimenté, aura l’air d’en savoir plus que lui ; et quand même des médecins, des navigateurs, des agronomes se mettraient en parallèle avec lui, s’ils ont une âme dépravée et des mœurs coupables, le jeune homme sage ne les préférerait pas à lui-même, pour ce motif que les maladies, les orages, la science des arbustes ou des plantes leur donnent lieu de faire de telles prédictions que, vu son inexpérience de ces choses, ils posent en prophètes devant lui.

8. Or, comme les démons ne se contentent pas de prédire quelques faits à venir ; comme ils opèrent encore certains actes étonnants, grâce sans doute à la perfection de leur corps, faut-il moins pour cela qu’un homme sage les méprise, lui qui voit tant d’individus pervers et misérables exercer à tel point leurs membres, déployer tant d’habileté dans leurs différentes professions, que ceux qui n’y sont point initiés ou n’en ont pas été témoins peuvent à peine croire aux faits qu’on en raconte ? Quelles merveilles n’ont point exécutées les funambules et les artistes de théâtre ! Quels prodiges sortent des mains d’ouvriers et surtout de mécaniciens ! Sont-ils pour cela meilleurs que les gens de bien, en qui reluisent la sainteté et la piété ?

J’ai rappelé ces exemples, afin que l’observateur qui les étudiera sans prévention opiniâtre ni vain esprit de dispute et de contradiction, arrive de lui-même à faire le raisonnement suivant : Des matières infimes et grossières, telles que le corps humain, ou telles que la terre et l’eau, les pierres, les bois, les divers métaux, peuvent enfanter des prodiges dans les mains de certains hommes, à ce point que les gens incapables d’en faire de pareils, pénétrés de stupeur, les appelleront divins, en les comparant avec eux-mêmes. Malgré cela, toujours les uns gardent leur supériorité professionnelle, tandis que les autres conservent la supériorité de leurs vertus. Combien donc de merveilles, et plus difficiles et plus étonnantes, les démons pourront-ils exécuter par la force et par la souplesse du plus subtil des corps, je veux dire, de leur substance aérienne ; bien que la dépravation de leur volonté et surtout leur étalage d’orgueil et la noirceur de leur jalousie les constituent toujours esprits impurs et immondes ! — Il serait trop long de démontrer quelle puissance cet air, cause de leur force corporelle, possède pour agir invisiblement sur maintes choses visibles, pour les mouvoir, les changer, les bouleverser. Je pense, d’ailleurs, qu’après un instant de réflexion, il est facile de se l’imaginer.

CHAPITRE V.
D’OÙ VIENT QUE LES DÉMONS ANNONCENT L’AVENIR.

9. Les choses étant ainsi, il faut savoir tout d’abord, en cette question de la divination par les démons, que le plus souvent ils prédisent ce qu’eux-mêmes doivent faire. Car souvent ils reçoivent le pouvoir d’envoyer les maladies, de rendre l’air malsain en l’infectant, de conseiller le mal aux hommes déjà pervertis ou trop amis des avantages terrestres, et dont les tristes mœurs leur donnent la certitude d’un consentement absolu à leurs perfides conseils. Et ces suggestions, ils les produisent par mille procédés aussi étonnants qu’invisibles, en pénétrant par leurs corps si subtils dans les corps des hommes qui ne s’en doutent point, en se mêlant à leurs pensées par des images et des fantômes dans l’état de veille ou dans le sommeil.

Quelquefois aussi leur prédiction n’a pas pour objet ce qu’ils font eux-mêmes, mais ce dont ils présagent l’avenir d’après certains signes naturels, signes que nos sens humains ne peuvent percevoir. On ne regardera pas comme un devin, par exemple, le médecin qui prévoit certains faits que ne voit point d’avance l’homme étranger à son art. Or, faut-il s’étonner que comme le médecin prévoit d’après une perturbation ou d’après une amélioration du tempérament humain, notre santé à venir, bonne ou mauvaise ; ainsi le démon, d’après certaine disposition ou règle de l’air qu’il connaît, lui, et qui nous échappe, prévoie les variations du temps ?

Parfois même, les démons apprennent très-facilement les dispositions intimes des hommes[1], non-seulement quand notre langue

  1. Voir 2e livre des Rétractations, chap. XXX. Consultez aussi le 1er livre contre les Académiciens, chap. VI et VII, n. 16-21.