Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DE LA DIVINATION DES DÉMONS[1].

Dieu permet que les démons devinent, et qu’il leur soit rendu un certain culte : mais il ne suit pas de là que ces divinations et ce culte soient dans l’ordre. — D’où viennent les divinations des démons. — Pourquoi elles sont quelquefois vraies, et pourquoi elles sont fausses la plupart du temps.

CHAPITRE PREMIER.
À QUELLE OCCASION FUT ÉCRIT CE TRAITÉ. — CE QUE DIEU PERMET N’EST PAS POUR CELA TOUJOURS SELON LA LOI.

1. Un matin, pendant nos saints jours d’octaves[2], un certain nombre de nos frères laïques se trouvaient chez moi réunis au lieu habituel de nos séances, quand la conversation tomba sur notre sainte religion comparée à cette science si présomptueuse des païens, qu’on nous présente comme étonnante et vraiment sérieuse. J’ai cru devoir rédiger par écrit et même compléter les souvenirs que cette conversation m’a laissés. Je tairai cependant le nom de mes honorables contradicteurs, bien qu’ils fussent de vrais chrétiens, et que leurs objections eussent plutôt pour but d’arriver à mieux connaître ce qu’il faut répondre aux païens.

On traitait donc de la divination des démons, et l’on prétendait que je ne sais quel individu avait prédit la destruction du temple de Sérapis, qui réellement eut lieu dans la ville d’Alexandrie. — Rien d’étonnant, répondis-je, que les démons aient pu savoir et prédire le renversement de leur temple et de leur idole, ainsi que maints autres faits ; ils l’ont pu dans la mesure où il leur est permis de connaître l’avenir et de l’annoncer.

2. Ainsi, me fut-il aussitôt répliqué, ainsi les divinations de ce genre ne sont point un mal, et Dieu ne les réprouve point ; si elles étaient coupables et mauvaises, ni sa toute-puissance ni sa justice ne les permettraient.

Je répondis : De ce qu’un Dieu tout-puissant et infiniment juste les permet, ce n’est pas, ce semble, une raison pour les déclarer conformes à la justice. Bien d’autres faits sont manifestement injustes, tels que les homicides, les adultères, les vols, les rapines et tous les autres crimes semblables ; bien que certainement ils déplaisent à ce Dieu juste au seul titre de leur injustice, ils n’en arrivent pas moins avec sa permission, par un décret infaillible de sa haute sagesse, qui certes ne leur garantit point l’impunité, mais au contraire prononce la damnation de ceux dont le crime offense sa souveraine justice.

3. Une objection m’attendait : La toute-puissance et la justice de Dieu sont hors de doute ; mais ces sortes de péchés sont purement humains, puisqu’ils ne s’attaquent qu’à la société humaine ; Dieu n’y attache donc pas d’importance au moment où ils se commettent, et c’est pour cela qu’ils peuvent être commis ; car évidemment ils seraient impossibles, sans la tolérance du Tout-Puissant. Quant à ces faits, au contraire, qui blesseraient directement la religion même, on ne croira jamais que Dieu les méprise. Par suite, ils ne peuvent arriver, si Dieu ne les approuve, et l’on ne peut les regarder comme mauvais.

À cette difficulté, j’ai répondu : Dites donc plutôt qu’il les désapprouve aujourd’hui, puisque nous voyons tomber temples et idoles, et que les sacrifices qui ont lieu aujourd’hui, sont punis aussitôt. En effet, comme vous prétendez qu’autrefois il leur a fallu l’approbation de Dieu pour pouvoir se produire, et que par suite ils sont légitimes puisque la souveraine Justice les agrée, ainsi peut-on dire que, s’ils ne lui déplaisaient point, ils n’auraient pas subi cette proscription, cette abolition, ce châtiment. Ainsi, enfin, supposé qu’autrefois

  1. Écrit entre l’an 406 et l’an 411.
  2. D’autres passages du saint Docteur font mention des octaves solennelles de Pâques, Voir le sermon CCLX.