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en son cœur, à la différence de celui qui, pour éviter un plus grand mal, exprime autre chose que ce qu’il pense tout en sentant qu’il pèche, mais en désapprouvant et le mal qu’il veut empêcher et celui qu’il commet. Les partisans de cette opinion prétendent qu’il faut entendre en ce sens la parole du psalmiste : « Qui dit la vérité dans son cœur » ; parce qu’il faut toujours dire la vérité dans son cœur, mais non toujours de la bouche du corps, si, pour éviter un plus grand mal, on est forcé de parler autrement qu’on ne pense. Or qu’il y ait une bouche du cœur, ou peut le conclure de ce que le mot parler suppose une bouche, et que par conséquent on ne pourrait raisonnablement dire « qui parle en son cœur », s’il n’y avait une bouche dans le cœur. Du reste dans le passage même où il est écrit : « La bouche qui ment tue l’âme », si on fait attention au contexte, on ne pourra l’entendre d’une autre bouche. En effet une parole est secrète quand elle échappe aux hommes qui n’entendent la bouche du cœur que par l’entremise de la bouche du corps. Or ici l’Ecriture parle d’une bouche qui parvient à l’oreille de l’Esprit du Seigneur, lequel remplit l’univers ; et bien qu’on nomme tout à la fois les lèvres, la voix et la langue, cependant le sens ne permet pas d’appliquer ces expressions à une autre bouche que celle du cœur, puisqu’il est dit qu’elle n’échappe point au Seigneur, tandis que la bouche dont le son frappe nos oreilles, n’échappe pas même à l’homme.

Voici le texte : « L’Esprit de sagesse est bon, humain, mais il ne sauvera pas le médisant de la punition due à ses lèvres, parce que Dieu sonde ses reins, scrute son cœur et entend sa langue. Car l’Esprit du Seigneur remplit l’univers et celui qui contient tout entend toute voix. C’est pourquoi l’homme qui profère l’iniquité ne peut se cacher, et il n’évitera pas le jugement qui le menace. L’impie sera interrogé sur ses pensées ; et ses discours monteront jusqu’à Dieu, pour le châtiment de ses iniquités. Car l’oreille du Dieu jaloux entend tout, et le bruit tumultueux des murmures n’est pas ignoré. Gardez-vous donc du murmure qui ne sert à rien, ne prêtez pas votre langue à la détraction : car la parole secrète ne passera pas en vain ; et la bouche qui ment tue l’âme ». On voit que ces menaces s’adressent à ceux qui croient que les pensées et les projets de leur cœur sont cachés et secrets. Et l’écrivain veut tellement faire comprendre que tout cela est parfaitement clair pour l’oreille de Dieu, qu’il emploie cette expression : « bruit tumultueux ».

32. Nous trouvons encore la bouche du cœur mentionnée en propres termes dans l’Évangile, au point que le Seigneur nomme dans le même passage la bouche du corps et celle du cœur, quand il dit : « Et vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? Ne comprenez-vous point que tout ce qui entre dans la bouche va au ventre et est rejeté dans un lieu secret ; tandis que ce qui sort de la bouche vient du cœur et que c’est là ce qui souille l’homme ? Car du cœur viennent les mauvaises pensées, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes ; c’est là ce qui souille l’homme ». Si par bouche vous entendez ici uniquement la bouche du corps, comment expliquerez-vous ces mots : « ce qui sort de la bouche, vient du cœur », puisque les crachats et les vomissements partent aussi de la bouche ? À moins peut-être que l’homme ne se souille pas en mangeant quelque chose d’immonde, et ne se souille en le vomissant. Or si c’est là une grande absurdité, il faut nécessairement admettre que le Seigneur parle de la bouche du cœur, quand il dit : « Ce qui sort de la bouche vient du cœur ». En effet le vol pouvant se commettre, et se commettant souvent, dans le silence de la voix et de la bouche du corps, ce serait le comble de la folie de s’imaginer qu’un voleur ne se souille que quand il avoue ou trahit son vol, et reste pur quand il le commet en silence. Mais si ces paroles se rapportent vraiment à la bouche du cœur, aucun péché ne peut se commettre en secret, puisqu’il ne s’en commet point qui ne sorte de cette bouche intérieure.

33. Comme on demandé de quelle bouche le texte parle, quand il dit : « La bouche qui ment tue l’âme », on peut aussi demander de quels mensonges il parle. Il semble en effet désigner proprement le mensonge qui fait tort au prochain, puisqu’il dit : « Gardez-vous donc du murmure qui ne sert à rien, et ne prêtez pas votre langue à la détraction ». Or la détraction a pour principe la malveillance, quand on ne se contente pas de proférer de la bouche