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encore l’autre joue ; mais : « Dieu te frappera, muraille blanchie ; tu sièges pour me juger selon la loi, et, contre la loi, tu ordonnes de me frapper » ; voyant, d’un coup d’œil pénétrant, que le sacerdoce des Juifs n’avait plus qu’un lustre extérieur, qu’au fond il était déshonoré par de sales convoitises ; en prononçant ces mots, il prévoyait en esprit que la vengeance du Seigneur allait y mettre fin ; et cependant il avait le cœur disposé, non-seulement à recevoir des soufflets, mais à endurer toutes sortes de tourments pour la vérité, sans rien perdre de sa tendre affection pour ses persécuteurs.

28. Il est aussi écrit : « Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon ». Et cependant l’Apôtre a juré dans ses épîtres. Par là il nous montre en quel sens il faut entendre ces paroles : « Je vous dis de ne jurer en aucune « façon » ; c’est que le Seigneur craint qu’on ne contracte la facilité de jurer, que de la facilité on ne passe à l’habitude, et que de l’habitude on ne tombe dans le parjure. Aussi ne voit-on pas que l’Apôtre ait juré autrement qu’en écrivant, alors que la réflexion plus mûre modère la précipitation de la langue. Or, cela vient du mal, selon ce qui est écrit : « Ce qui est de plus vient du mal » : non du côté de Paul, mais du côté des faibles, avec qui il employait ce moyen pour faire ajouter foi à sa parole. Car je ne sais si on trouverait dans l’Ecriture un seul cas où il ait juré de vive voix et autrement que par écrit. Et cependant le Seigneur dit « de ne jurer en aucune façon », sans faire d’exception pour le serment par écrit. Mais comme ce serait un crime d’accuser Paul d’avoir violé un commandement, surtout dans des épîtres composées et publiées pour le bien spirituel et le salut des peuples, il faut donc entendre que ce mot « en aucune façon » signifie que tu ne dois pas désirer, pas aimer de jurer, que tu ne dois pas te complaire dans le serment, comme si c’était un bien.

39. Il en est de même de ces textes : « Ne soyez point inquiets du lendemain ; ne vous inquiétez de ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, ni de quoi vous vous vêtirez (4) ». Quand nous voyons que le Seigneur lui-même eut une bourse où était renfermé ce qu’on lui donnait, pour s’en servir suivant le besoin ; quand nous lisons que les apôtres se procuraient des ressources abondantes pour soulager la pauvreté de leurs frères, et ne songeaient pas seulement au lendemain, mais prenaient des précautions en prévision d’une longue famine, ainsi qu’on le voit dans les Actes des apôtres ; nous pouvons évidemment conclure que les défenses du Seigneur doivent s’entendre en ce sens que dans toutes nos actions nous n’agissions jamais comme sous la pression de nécessité, soit par désir d’amasser des biens temporels, soit par crainte de la pauvreté.

30. Le Seigneur a aussi recommandé aux apôtres de ne rien emporter avec eux en voyage et de vivre de l’Évangile. Et il a indiqué quelque part le sens de ces paroles, en disant

« Car l’ouvrier mérite son salaire » : par où il fait assez voir que c’est une permission qu’il donne et non un ordre, pour que le prédicateur de la parole se persuade bien qu’il ne fait rien d’illicite quand il reçoit, de ceux à qui il prêche, les choses nécessaires à la vie. Mais qu’il puisse y avoir plus de mérite à ne pas le faire, c’est ce que Paul nous enseigne suffisamment quand, après avoir dit : « Que celui que l’on catéchise par la parole, communique de tous ses biens à celui qui le catéchise » ; et répété en beaucoup d’endroits que c’était la louable coutume de ceux à qui il prêchait, il ajoute : « Mais cependant je n’ai point usé de ce pouvoir ». C’est donc un pouvoir que le Seigneur accordait, et non un ordre strict qu’il donnait. C’est ainsi que le plus souvent, quand nous ne comprenons pas le sens des paroles, nous devons recourir aux exemples des saints pour saisir ce qui pourrait facilement, sans cela, s’interpréter autrement.

CHAPITRE XVI. DEUX BOUCHES, CELLE DE LA VOIX ET CELLE DU CŒUR. N’Y A-T-IL DE DÉFENDU QUE LE MENSONGE QUI FAIT TORT AU PROCHAIN ? TRIPLE SENS DU PASSAGE DE L’ECCLÉSIASTIQUE.

31. On demande de quelle bouche il est question dans ce texte : « La bouche qui ment tue l’âme ». Car ordinairement parce mot bouche, l’Ecriture entend le fond même du cœur, là où se conçoit et se forme tout ce qui s’énonce par la parole, quand nous disons la vérité : en sorte que celui à qui il plaît de mentir, mente