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et nous avons dit ce que nous en pensons, dans le but d’encourager les forts, les fidèles, les hommes et les femmes amis de la vérité, à les éviter et à supporter avec générosité et courage tous les inconvénients qui peuvent en résulter. La huitième espèce est le mensonge qui ne nuit à personne et sert à détourner de quelqu’un une souillure corporelle, mais seulement celle que nous avons indiquée plus haut. Car les Juifs regardaient comme une souillure de manger sans se laver les mains. Que si on veut y en voir une, elle n’est cependant pas telle qu’on doive mentir pour l’éviter. Mais si le mensonge est de nature à faire tort à quelqu’un, dût-il d’ailleurs sauver un homme de ce genre de souillure que tout le monde abhorre et déteste ; si on peut mentir quand l’injure qu’il cause est autre que l’espèce d’impureté dont il est question : c’est une autre affaire ; car alors il ne s’agit plus du mensonge, mais bien de savoir s’il est permis, même en dehors de tout mensonge, de faire tort à quelqu’un pour détourner d’un tiers ce genre d’ignominie. Je ne le crois pas du tout, même quand on ne parlerait que de torts peu considérables, comme le vol d’un boisseau de blé dont il a été parlé plus haut, et quoiqu’il soit fort embarrassant de décider si nous ne devrions pas causer un dommage de ce genre, dans le cas où il serait possible d’exempter à ce prix d’un odieux attentat celui qui en serait menacé. Mais, je le répète, c’est là une autre question.

CHAPITRE XV. TÉMOIGNAGES DIVINS QUI DÉFENDENT LE MENSONGE. PRÉCEPTES A INTERPRÉTER D’APRÈS LA CONDUITE DES SAINTS.

Revenons maintenant au point que nous voulions traiter, à savoir : s’il faut mentir lorsque le mensonge est la condition indispensable pour nous sauver d’un attentat contre la pudeur ou de quelque autre horrible souillure, quand d’ailleurs ce mensonge ne fera de tort à personne.

26. Un premier moyen d’éclairer la question, c’est de discuter avec soin les textes divins qui défendent le mensonge : s’ils nous ferment toute issue, c’est en vain que nous en chercherons une ; car il faut à tout prix observer le commandement divin, et accepter avec courage la volonté de Dieu dans toutes les conséquences fâcheuses qui peuvent résulter de notre fidélité. Si, au contraire, nous trouvons un moyen d’excuser le mensonge dans le cas supposé, il ne faut pas nous l’interdire. C’est pour cela que les Saintes Ecritures ne contiennent pas seulement les commandements de Dieu, mais aussi la vie et les mœurs des justes, par lesquelles nous pouvons interpréter ce qu’il pourrait y avoir d’obscur dans les commandements du Seigneur. Il faut pourtant excepter tous les faits, d’ailleurs certains et indubitables, qui sont susceptibles d’un sens allégorique, comme sont presque tous les faits rapportés dans les livres de l’Ancien Testament : car qui oserait soutenir qu’il y ait là quelque chose qui n’ait une signification figurée ? Quand l’Apôtre, par exemple, affirme que les deux fils d’Abraham, qui nous semblent au premier abord nés simplement et selon l’ordre naturel pour former un peuple (car enfin il n’y avait dans leur naissance rien d’extraordinaire, rien de prodigieux, qui forçât à y voir une figure), affirme, dis-je, qu’ils représentent les deux Testaments ; quand il nous dit que le merveilleux bienfait accordé par Dieu au peuple d’Israël lorsqu’il le tira de l’odieuse servitude d’Égypte, ainsi que la vengeance qu’il exerça sur lui pendant le voyage à cause de ses infidélités ; quand l’Apôtre nous dit que tout cela est arrivé en figure ; pourrait-on trouver un seul fait qui déroge à cette règle et dont on ose dire qu’il ne renferme aucun sens figuratif ? Mais, ces faits mis à part, étudions dans le Nouveau Testament les actions des saints, qui nous sont évidemment proposées pour modèles de conduite, et cherchons-y l’explication de la lettre des commandements.

27. Ainsi nous lisons dans l’Évangile « Quelqu’un te frappe sur une joue, présente lui encore l’autre ». Or nous ne trouverons nulle part un plus puissant, un plus parfait modèle de patience que le Seigneur lui-même. Eh bien ! ayant reçu un soufflet, il ne dit pas : Voici l’autre joue : mais « Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Par où il fait voir que c’est dans le cœur que doit être la disposition à tendre l’autre joue. Et Paul l’apôtre le savait bien : car, souffleté en présence du pontife, il ne dit pas : Frappe