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chrétienne, que tout le monde connaît, que nous lisons, que nous écrivons, que nous Écoutons et que nous répétons ; et ces vérités, si Jésus-Christ voulait nous les dire de la manière dont il les dit aux saints anges, en lui-même, Verbe unique du Père et coéternel au Père, personne ne pourrait les porter, fût-on spirituel autant que les Apôtres l’étaient peu, lorsque le Seigneur leur adressait ces paroles, et autant qu’ils le devinrent par l’effet de la descente du Saint-Esprit. Évidemment, tout ce qu’on peut savoir de la créature est au-dessous du Créateur lui-même ; car il est Dieu souverain, véritable et immuable. Or, qui est-ce qui tait son nom ? Ce nom ne se trouve-t-il point sur les lèvres de ceux qui lisent et de ceux qui disputent, de ceux qui interrogent et de ceux qui répondent, de ceux qui louent et de ceux qui chantent des cantiques ; en un mot, de tous ceux qui parlent et enfin même de ceux qui blasphèment ? Toutefois, quoique personne ne taise son nom, quel est celui qui le comprend comme il doit être compris, bien qu’il se rencontre dans la bouche et dans les oreilles de tous les hommes ? Quel est l’homme dont l’esprit, même en ce qu’il a de plus pénétrant, puisse en approcher ? Où est l’homme capable de savoir qu’il est Trinité, s’il n’avait voulu se faire connaître sous ce rapport ? Quoique personne ne taise le nom de la Trinité, quel est l’homme qui comprenne la Trinité comme la comprennent les anges ? Les choses que tous les jours et publiquement on ne cesse de dire sur l’éternité, sur la vérité et sur la sainteté de Dieu, sont donc bien comprises par les uns et mal comprises par les autres. Ou plutôt, elles sont comprises par les uns et non comprises par, les autres. Celui en effet qui comprend mal, ne comprend réellement pas ; et même chez ceux qui comprennent bien, la vivacité de l’esprit fait que les uns voient mieux et les autres moins bien ; et, en tous cas, nul homme ne comprend comme comprennent les anges. Donc dans l’âme elle-même, c’est-à-dire dans l’homme intérieur, s’opère un certain accroissement en vertu duquel non seulement il passe du lait à une nourriture plus solide, mais il prend cette nourriture en quantité toujours plus grande. Il ne croît pas en volume et en dimension, mais en intelligence lumineuse ; car cette nourriture est une lumière de l’âme. Si donc vous voulez croître et comprendre Dieu, si vous voulez d’autant plus le comprendre que vous croîtrez davantage, vous devez le demander et l’attendre non d’un maître qui parle à vos oreilles, c’est-à-dire qui par son travail extérieur plante et arrose, mais de celui qui donne l’accroissement [1].
2. Aussi, comme je vous en ai avertis, dans le discours précédent, prenez bien garde, vous surtout qui êtes de petits enfants et qui avez besoin d’être nourris de lait, prenez garde à ces hommes qui, trompés par ces paroles du Seigneur : « J’ai encore beaucoup de choses « à vous dire, mais vous ne pouvez les porter « maintenant n, prennent de là occasion, de tromper les autres ; ne leur prêtez pas une oreille curieuse d’apprendre des choses inconnues, car vos esprits sont trop faibles pour discerner le vrai du faux ; défiez-vous d’eux, particulièrement à cause des turpitudes pleines d’obscénité que Satan a apprises à ces âmes chancelantes et charnelles. Dieu a permis qu’il en fût ainsi d’elles, afin que partout ses jugements devinssent un sujet – de crainte et qu’en comparaison de ces impures iniquités la douceur de la pure discipline fût goûtée par tous ; c’était aussi afin de donner bonheur, crainte ou confusion à celui qui, soutenu par lui, n’est pas tombé dans ces abîmes, ou qui, relevé par lui, a pu en sortir. Prenez garde, craignez et priez ; par là vous éviterez le malheur de vous voir appliquer cette parabole de Salomon : « Une femme folle et audacieuse, n’ayant plus de pain », appelle les passants en disant « Prenez avec plaisir des pains cachés et goûtez la douceur des eaux dérobées[2] ». Cette femme, c’est la vanité des impies qui, malgré leur ignorance profonde, s’imaginent savoir quelque chose ; car il est dit d’elle qu’elle n’a point de pain : « n’ayant « point de pain n, elle promet cependant du pain ; c’est-à-dire qu’elle ignore la vérité et qu’elle promet néanmoins de donner la science de la vérité. Elle promet des pains cachés, et, à l’entendre, on les prend avec plaisir ; elle promet la douceur des eaux dérobées, afin qu’on écoute et qu’on fasse avec plus de plaisir et de douceur ce qu’il est publiquement défendu, dans l’Église, de dire et de croire. C’est par ce secret que ces docteurs d’iniquité assaisonnent pour ainsi dire les poisons qu’ils donnent aux curieux ; par là ceux-ci croient

  1. 1 Cor. 6, 6
  2. Prov. 9, 13-17