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pouvez-vous ; car peut-être plusieurs pourront entendre ce que Pierre ne pouvait encore entendre ; de même que plusieurs peuvent souffrir le martyre, ce que Pierre ne pouvait pas encore souffrir : ils le pourront d’autant mieux que le Saint-Esprit est venu en eux, tandis qu’il n’avait pas encore été envoyé alors, et que Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Mais quand sera venu cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité ». Par là, en effet, il leur montrait que s’ils ne pouvaient porter ce qu’il avait à leur dire, c’est que l’Esprit-Saint n’était pas encore venu en eux.
2. Maintenant, le Saint-Esprit est descendu sur les fidèles ; donc accordons pour un instant qu’ils peuvent porter les choses que les disciples ne pouvaient porter, avant d’avoir reçu le Paraclet : en sommes-nous pour cela plus avancés ? En savons-nous mieux quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n’a pas voulu dire ? Sans doute, nous les saurions s’il nous les avait dites, et si, par conséquent, nous les lisions ou les entendions lire. Car autre chose est de savoir si vous ou moi nous pouvons les porter ; autre chose est de savoir ce qu’elles sont, qu’elles puissent ou ne puissent pas être portées. Et comme Notre-Seigneur a gardé le silence, qui de nous pourra dire : C’est telle ou telle chose ? ou si quelqu’un ose le dire, comment le prouvera-t-il ? Qui est assez vain ou téméraire, quand il aurait dit des choses vraies à qui il aura voulu et comme il aura voulu, pour affirmer, sans s’appuyer sur aucun témoignage divin, que ce sont bien réellement les choses qu’alors le Seigneur a voulu taire ? Qui de nous osera agir ainsi ? Ne serait-ce pas nous rendre coupables d’une très-grande témérité, puisqu’en nous ne se trouve l’autorité ni des Prophètes, ni des Apôtres ? En effet, il ne nous suffirait pas de l’avoir lu dans les livres revêtus de l’autorité canonique, qui ont été écrits après l’ascension du Seigneur ; ce ne serait rien de l’avoir lu ; il y faudrait encore lire en même temps que c’est là une de ces choses que le Seigneur ne voulut pas alors dire à ses disciples, parce qu’ils ne pouvaient les porter. Prenons pour exemple ce que nous lisons au commencement de cet Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était a en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était au commencement en Dieu [1] » ; et ce qui suit. Ces paroles ont été écrites après sa mort ; il n’est pas dit que le Seigneur Jésus les ait prononcées pendant qu’il était sur cette terre ; mais un de ses Apôtres les a écrites sous l’inspiration du Saint-Esprit ; si je disais que ces paroles sont de celles que le Seigneur n’a pas voulu dire alors, parce que ses disciples ne pouvaient les porter, qui est-ce qui en écouterait parler avec une telle témérité ? Mais si l’Apôtre lui-même l’affirme en rapportant ces paroles, qui est-ce qui refuserait de croire à un témoignage pareil ?
3. Il est aussi, ce me semble, singulièrement absurde de dire que les disciples ne pouvaient alors porter ce que nous trouvons sur les choses invisibles et sublimes dans les lettres écrites par les Apôtres après l’Ascension, et dont il n’est pas rapporté que c’est le Seigneur qui les leur a apprises, pendant qu’il était avec eux. Pourquoi alors n’auraient-ils pas pu porter des choses que chacun peut lire dans leurs livres, que chacun peut porter, quand même il ne les comprendrait pas ? À la vérité, il y a, dans les saintes Écritures, plusieurs choses que les infidèles ne peuvent comprendre lorsqu’ils les lisent ou les entendent, et qu’ils ne peuvent porter lorsqu’ils les ont lues ou entendues. Ainsi les païens ne peuvent comprendre que le monde a été fait par un crucifié ; ainsi les Juifs ne comprennent pas que Celui qui n’observe pas le sabbat, comme eux, soit le Fils de Dieu ; ainsi les Sabelliens ne comprennent pas que la Trinité est Père, Fils et Saint-Esprit ; les Ariens, que le Fils est égal au Père, et le Saint-Esprit égal au Père et au Fils ; les Photiniens, que Jésus-Christ est non pas seulement un homme semblable à nous, mais encore Dieu égal à Dieu le Père ; les Manichéens, que Jésus-Christ, par qui doit s’opérer notre délivrance, a daigné naître de la chair et dans la chair ; et tous les autres hommes engagés dans des sectes perverses et différentes ne peuvent supporter tout ce qui, dans les saintes Écritures et dans la foi catholique, se trouve contraire à leurs erreurs : ainsi en est-il de nous ; nous ne pouvons supporter leurs vanités sacrilèges ni leurs folies mensongères. Qu’est-ce, en effet, que ne pouvoir porter une chose ? C’est ne pas la regarder d’une âme égale ! Mais tout ce qui, après l’ascension du Seigneur, a été écrit avec la vérité et l’autorité canonique, où est le fidèle, où est le catéchumène

  1. Jn. 1, 1, 2