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touchant le jugement ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que le Seigneur Jésus-Christ n’a pas convaincu le monde touchant le péché, lorsqu’il a dit : « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n’auraient pas eu de péché ; mais maintenant ils n’ont point d’excuses pour leur péché ? » Mais afin que personne ne puisse dire que ces dernières paroles regardent exclusivement les Juifs et ne concernent nullement le monde, n’a-t-il pas dit dans un autre endroit : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui[1] ? » Ne l’a-t-il pas convaincu touchant la justice, quand il a dit : « Père juste, le monde ne vous a pas connu [2] ? » Ne l’a-t-il pas convaincu touchant le jugement, puisqu’il assure qu’il dira à ceux qui seront placés à sa gauche : « Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges [3] ? » Il y a dans l’Évangile beaucoup d’autres passages où Jésus-Christ convainc le monde touchant toutes ces choses ; d’où vient donc qu’il attribue cette action au Saint-Esprit comme une action qui lui est propre ? Ne serait-ce point parce que Jésus-Christ, ayant parlé exclusivement à la nation des Juifs, ne semble pas avoir convaincu le monde ; car on ne regarde comme convaincu que celui qui entend celui qui le convainc ? Mais le Saint-Esprit, par l’organe des disciples répandus dans tout l’univers, a convaincu, non pas une seule nation, mais le monde entier. C’est ce que Notre-Seigneur leur dit un peu avant de remonter au ciel : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui descendra sur vous, et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, et dans toute la Judée, et dans Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre [4] ». C’est là convaincre le monde. Mais qui osera dire que l’Esprit-Saint convainc le monde par les disciples de Jésus-Christ, et que Jésus-Christ ne le convainc pas lui-même, lorsque l’Apôtre s’écrie : « Voulez-vous éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi [5] ? » Ceux que convainc l’Esprit-Saint, Jésus-Christ les convainc donc aussi lui-même. Mais le Saint-Esprit devait répandre dans leurs cœurs [6] la charité qui chasse dehors la crainte [7], crainte qui aurait pu les empêcher de convaincre un monde frémissant de rage et disposé à les persécuter. C’est pour cela, j’imagine, que Notre-Seigneur a dit : « C’est lui qui convaincra le monde » ; n’était-ce pas dire, en d’autres termes : C’est lui qui répandra dans vos cœurs la charité ; et par là toute crainte ayant disparu, vous aurez la liberté de convaincre ? Nous vous l’avons dit souvent : Les œuvres de la Trinité ne sont pas plus imputables à une de ses personnes qu’à une autre[8] ; mais chaque personne doit être distinguée des autres de telle sorte que nous n’introduisions aucune division dans leur unité, ni aucune confusion dans leur Trinité.
2. Le Seigneur explique ensuite ce qu’il a voulu dire par ces mots : « Touchant le péché, et touchant la justice, et touchant le jugement. Touchant le péché », dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Il place ce péché avant tous les autres, et comme s’il n’y en avait pas d’autre. En effet, tant que celui-là subsiste, les autres demeurent, mais s’il disparaît, les autres sont remis. « Touchant la justice », continue-t-il, « parce que je vais au Père, et bientôt vous ne me verrez plus ». Ici il faut d’abord examiner si chacun doit être convaincu touchant le péché de la même manière qu’il doit être convaincu touchant la justice. En effet, si le pécheur doit être convaincu précisément parce qu’il est pécheur, faut-il penser que le juste sera convaincu parce qu’il est juste ? Loin de là. Car si parfois le juste est convaincu, c’est qu’il le mérite. Il est écrit en effet : « Il n’est point de juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche point ». C’est pourquoi, lorsque le juste est convaincu, il est convaincu touchant le péché, et non touchant la justice. Quand nous lisons dans les divines Écritures : « Gardez-vous de devenir juste à l’excès [9] », il ne s’agit pas de la justice du sage, mais de l’orgueil du présomptueux. Celui donc qui devient trop juste, devient par là même trop injuste. Celui qui se fait trop juste est celui qui se dit sans péché, ou qui pense devoir attribuer sa justice, non pas à la grâce de Dieu, mais à la suffisance de sa volonté ; tout en vivant dans la droiture, il n’est pas juste, mais il est enflé d’orgueil, puisqu’il croit être ce qu’il n’est pas. De quelle façon le monde sera-t-il donc

  1. Jn. 15, 22, 19
  2. Id. 17, 25
  3. Mt. 25, 41
  4. Act. 1, 7, 8
  5. 2 Cor. 13, 3
  6. Rom. 5, 5
  7. Jn. 4, 18
  8. Traité XX
  9. Eccl. 7, 21, 17