Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/600

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’invincible égide de leur chef, et, sûrs de la défaite de leurs adversaires, ils en triomphent déjà. C’est à eux, en effet, que s’adressent ces paroles : « Le Seigneur combattra pour toi, et tu demeureras dans le silence[1] ». Quand même il n’y aurait là qu’un seul guerrier, il pourrait encore s’appliquer cet autre passage : « Ne crains pas, car il y a plus de soldats avec nous qu’avec eux[2] ». O désert, tu donnes la mort aux vices ! tu fais naître et vivre les vertus ! La loi t’exalte, les Prophètes t’admirent, et quiconque est parvenu au sommet de la perfection sait ton éloge. À toi Moïse est redevable des deux tables du Décalogue ; c’est par toi qu’Élie a connu le passage et les traces du Seigneur ; c’est par toi qu’Élisée a reçu le double esprit de son maître. À cela dois-je ajouter quelque chose ? non ; car, dès le début de sa carrière réparatrice, le Sauveur du monde a voulu que son héraut fût ton hôte à l’aurore du siècle futur, l’étoile du point du jour devait sortir de la solitude, et, à la suite, le plein soleil devait en venir pour dissiper, par l’éclat de ses rayons, les ténèbres de ce monde. Tu es l’échelle de Jacob, puisque tu aides les hommes à monter au ciel et que, par toi, les anges en descendent, leur apportant le secours d’en haut. Tu es la voie d’or, qui ramène dans la patrie la race d’Adam, l’arène où les habiles coureurs méritent la couronne. O vie érémitique, bain des âmes, tombeau des crimes, piscine dont les eaux purifient ceux qui se trouvent souillés ! Tu ôtes ce qu’il y a d’impur dans le secret des consciences, tu fais disparaître les taches du péché, tu aides les âmes à acquérir l’éclatante pureté des anges ! Dans la cellule se réunissent à la fois et Dieu, et les hommes qui accomplissent encore leur pèlerinage terrestre, et les esprits célestes. Là se rendent, en effet, les habitants de la Jérusalem éternelle, afin de converser avec les hommes ; mais, dans ces entretiens, on n’entend pas de paroles proférées par une langue charnelle ; la conversation s’y fait sans bruit, et les secrets des âmes s’y dévoilent silencieusement. Enfin, la cellule est le témoin des communications secrètes qui s’échangent entre Dieu et les hommes. Admirable et merveilleuse chose ! Quand le frère, dans sa cellule, psalmodie pendant les heures de la nuit, il est comme un soldat en faction, chargé de faire vedette au tour du camp divin. D’une part, les astres fournissent leur course dans le ciel, et, d’autre part, se déroule sur les lèvres de l’ermite, et dans un ordre parfait, la suite des psaumes. De même que les étoiles, se succédant les unes aux autres, prennent la place de celles qui les précèdent, jusqu’au moment où parait le jour ; ainsi les psaumes sortent de la bouche du solitaire comme d’un autre Orient, et, marchant d’un pas en quelque sorte égal à celui des astres, s’avancent insensiblement vers leur terme. Le moine accomplit le devoir de son état de dépendance, les étoiles s’acquittent de l’office qui leur a été confié. L’un, en psalmodiant, s’avance intérieurement vers la lumière inaccessible ; en se succédant mutuellement, les autres renouvellent le jour que contemplent les yeux charnels ; et tandis que tous tendent à leur fin par des routes différentes, les éléments eux-mêmes se trouvent, d’une certaine manière, d’accord avec le serviteur de Dieu, tout en lui rendant service. Enfin la cellule sait de quel feu d’amour divin brûle le cœur de celui qui l’habite ; elle sait avec quel empressement, dans quel degré de perfection il cherche à s’approcher de Dieu ; elle sait quand la rosée de la grâce céleste pénètre l’âme de l’homme, quand les nuages de la componction versent sur elle les abondantes ondées des pleurs et des larmes, quand, enfin, l’amertume du cœur ne détruit pas le fruit des larmes, bien que les yeux du corps restent secs ; en effet, si le rameau desséché des yeux extérieurs ne porte aucun fruit, la racine se conserve néanmoins toujours vivace dans le terrain humide du cœur. Peu importe qu’un homme ne puisse jamais pleurer ; il suffit que son âme soit sensible. La cellule, c’est l’atelier où se polissent les pierres précieuses : sortant de là, elles n’auront plus besoin, pour entrer dans la construction du temple, de passer sous le marteau bruyant de l’ouvrier.
5. O cellule, tu n’as presque rien à envier au tombeau du Christ, puisque tu reçois des hommes que le péché a fait mourir, et que, sous le souffle de l’Esprit-Saint, tu les rends à Dieu pleins de vie. Tu es le tombeau où viennent expirer les étourdissantes tentations de cette vie mondaine, mais où s’ouvrent les portes de la vie céleste : en toi trouvent un port tranquille ceux qui échappent à la fureur des flots du siècle. Tu es le séjour du médecin

  1. Exo. 14, 14
  2. 2Ro. 6, 16