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possession de la terre promise ? Évidemment, non. Seraient-ils parvenus à ce buttant désiré, si, après s’être dérobés à la tyrannie de Pharaon, sous le joug de laquelle on leur permettait de mener encore une vie telle quelle, ils avaient, par leur indolente incurie, engagé les Chananéens à leur mettre l’épée sur la gorge ? Secouons donc, frères bien-aimés, secouons une torpeur indigne de nous, torpeur d’une âme paresseuse et sans énergie ; car, ne voulons-nous point parvenir à la couronne par de vaillants et généreux combats ? Soyons toujours prêts à repousser loin du champ de notre cœur les bataillons des vices et les bêtes sauvages qui voudraient y pénétrer ; ne leur permettons pas de mettre le pied dans ce qui est de notre domaine et d’y établir leur détestable pouvoir. Dieu daigne nous en faire la grâce ! Que nos ennemis ne nous voient jamais céder lâchement devant eux ! Que jamais ils ne puissent se vanter et se réjouir de nous avoir fait reculer 50 Nous avons à notre tête, pour nous diriger dans les combats, un chef invincible ; nous pouvons et devons lui dire : « Seigneur, jugez ceux qui me persécutent, combattez ceux qui me combattent ; prenez vos armes et votre bouclier, levez-vous pour me secourir[1] ». Il est bienheureux, le guerrier spirituel qui marche à la suite d’un tel chef sur les champs de bataille, et mérite d’obéir aux ordres d’un pareil général ; car Dieu accorde l’audace à ce hardi champion, il lui donne la victoire comme récompense de ses efforts, et après la victoire la couronne du triomphe. Que dis-je ? Le Dieu béni dans tous les siècles n’est-il pas lui-même la largesse accordée aux combattants, la récompense réservée au mérite, l’éternelle couronne qu’attendent les triomphateurs ?

TRENTE-SIXIÈME SERMON. OU DEUXIÈME TRAITÉ DE LA LUTTE CONTRE LES VICES.

ANALYSE. —1. Le diable s’attaque de préférence aux commençants : un soldat du Christ. doit lui résister.—2. Trois vertus conviennent particulièrement à la vie érémitique. —3. Éloge de ce genre de vie. —4,5,6,7. Continuation de cet éloge.
1. Quiconque entre dans une cellule pour lutter contre le diable, et se jette avec l’ardeur d’un généreux courage dans l’arène du combat spirituel, doit n’avoir pas d’autre intention que celle de ne plus ressentir, même pour un moment, les convoitises de la chair, et de mourir tout à la fois à lui-même et au monde. Qu’il se prépare donc à souffrir toutes sortes de calamités et de misères ; qu’il se dévoue à la mort pour le Christ, garnisse son carquois des traits de toutes les vertus et se propose d’affronter toutes les difficultés et tous les obstacles ; ainsi arrivera-t-il que, quand il les rencontrera, il y sera préparé, et loin d’y succomber lâchement, il y résistera avec égalité d’âme. À l’endroit où un fleuve sort de terre, ce n’est qu’un simple filet d’eau ; mais à mesure qu’il avance et prolonge son cours, des ruisseaux viennent de ça et de là le gonfler ; ainsi en est-il de notre homme intérieur, il est presque imperceptible et semble être à sec au moment où nous débutons dans la sainte carrière ; mais peu à peu, les vertus venant s’y adjoindre de côté et d’autre, comme des ruisseaux, il prend du corps. Pour rétrécir le lit du fleuve ou en arrêter les eaux, il faut nécessairement remonter jusqu’à la source, afin d’y établir une digue ; n’étant encore là qu’un ruisseau au lieu d’être déjà un fleuve, ce cours d’eau peut être facilement dompté par des obstacles. Autre comparaison : celui qui veut entrer dans un palais

  1. Psa. 34, 1-2