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quand il est sorti de ce monde : avec des milliers de fautes, un autre a été réservé par Dieu, comme étant prédestiné à la vie. Qu’y a-t-il en cela, ô très-doux Esprit ? C’est que, d’un côté, se manifeste votre miséricorde, et, de l’autre, votre justice. Ces deux hommes, bien différents l’un de l’autre, se trouvent également destinés après une multitude de crimes énormes et pour la fin du monde, celui-ci à entrer dans la vie, celui-là à tomber dans d’affreux tourments. Qu’en conclure, ô Dieu plein de bonté ? C’est qu’en tout cela votre miséricorde sans bornes reste toujours égale à elle-même, bien que vous agissiez diversement. Le petit nombre des péchés ne donne pas plus la certitude d’arriver à la vie éternelle, que la grandeur et la multiplicité des fautes ne doit donner lieu au désespoir. Mais parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, je l’invoque, je la désire, il m’est doux de m’y attacher. Donnez-vous à moi par son intermédiaire, et donnez-la-moi par vous : que je la possède en vous, et qu’elle vous serve de chemin pour venir en moi. C’est elle qui m’inspire le confiant courage de vous parler ; elle rend mon âme supérieure à elle-même : en la possédant je vous possède. Je ne demande donc rien que vous, car vous êtes le docteur et la science, le médecin et le remède, vous voyez l’état des âmes, et vous les préparez, vous êtes l’amour et l’amant, la vie et le conservateur de la vie. Que dire de plus ? Vous êtes tout ce qu’on peut appeler bon. Car si nous ne sommes point anéantis, c’est l’effet de votre indulgence : elle seule nous soutient eu nous attendant ; elle seule nous conserve en ne nous condamnant pas, nous rappelle sans nous faire de reproches, nous renvoie sans nous juger, nous accorde la grâce sans nous la reprendre, et nous sauve par sa persévérance.
2. Âme pécheresse, ô mon âme, lève-toi donc, redresse-toi, sois attentive à ces consolantes paroles, ne refuse pas un secours qui peut t’aider si puissamment à te réformer. Remarque-le bien : pour ta restauration, cette personne divine est la seule qui te soit nécessaire. Lève-toi donc tout entière, ô mon âme, et, puisqu’en cette personne seule se trouve ton salut, consacre-lui toutes tes forces, prépare-toi à lui servir de demeure ; reçois-la, afin qu’elle te reçoive à son tour. Venez donc, très-doux Esprit ; étendez votre doigt, aidez-moi à me lever. Que ce saint doigt s’approche de moi, m’attire vers vous, se pose sur mes plaies et les guérisse. Qu’il fasse disparaître l’enflure de mon orgueil ; qu’il ôte la pourriture de ma colère ; qu’il arrête en moi les ravages du poison de l’envie ; qu’il en retranche la chair morte de la nonchalance ; qu’il y calme la douleur de la cupidité et de l’avarice ; qu’il en ôte la superfluité de la gourmandise, et y remplace l’infection de la luxure par les parfums odorants de la plus parfaite continence. Puisse-t-il me toucher, ce doigt qui fait couler sur les blessures le vin, l’huile et la myrrhe la plus pure t Puisse-t-il me toucher, ô Dieu plein de bonté ! Alors disparaîtra toute ma corruption, alors je reviendrai à ma primitive innocence, et quand vous viendrez habiter en moi, qui ne suis maintenant qu’un sac déchiré, vous y trouverez une demeure en bon état, fondée sur la vérité de la foi, bâtie sur la certitude de l’espérance et parachevée avec une charité ardente. Bien que nous ne vous désirions pas depuis longtemps, venez, hôte aimable ; oui, venez. Demeurez avec nous, car si vous n’y restez pas, il se fera tard, et le jour baissera[1]. Frappez et ouvrez, car si vous ouvrez la porte, personne ne la fermera : entrez et fermez-la derrière vous, et personne ne l’ouvrira[2]. Tout ce que vous possédez est en paix[3], et, sans vous, il n’y a point de paix possible, vous, le repos des travailleurs, la paix des combattants, le plaisir de ceux qui souffrent, la consolation des malades, le rafraîchissement de ceux que la chaleur accable, la joie des affligés, la lumière des aveugles, le guide de ceux qui doutent, le courage des timides ; car personne ne goûte la tranquillité, s’il ne travaille pour vous : celui-là seul jouit de la paix, qui combat pour vous ; souffrir pour vous, c’est le comble du bonheur ; pleurer pour vous, c’est la suprême consolation. Quand mon âme gémit pour vous, alors, à vrai dire, elle se livre au vice et aux plaisirs. Ineffable bonté vous ne pouvez souffrir qu’on souffre, qu’on pleure ou qu’on travaille à cause de vous ; car, au même moment commencent le travail et le repos, le combat et la paix, la peine et le bonheur. Être en vous, c’est être dans l’éternelle félicité.

  1. Luc. 24, 29
  2. Apo. 3, 7
  3. Luc. 11, 21