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Laisse-toi attendrir par les larmes de leurs frères, par les sanglots de tous ces assistants qui prient, non pour leurs propres fautes, mais pour celles des pécheurs ; néanmoins, ces fautes ne nous sont point complètement étrangères, car nous ne formons qu’un seul et même corps avec ces membres souffrants : nous avons le même chef, et nous compatissons à leurs maux. Nous sommes animés, à leur égard, de l’esprit de douceur, car nous craignons d’être nous-mêmes soumis à l’épreuve. Pourrions-nous nous croire dispensés de pleurer pour des frères tombés et repentants, quand le Christ nous a commandé de prier même pour nos ennemis ?
3. Pour donner aux gémissements de tous une nouvelle force, joins-y les tiens ; unis à leurs faibles mérites tes mérites bien plus grands, car ils sont comme les cheveux blancs de ton âme : prosterne-toi, en faveur de tes enfants, aux pieds de ton Dieu. Cette humiliation t’élèvera davantage ; ta douleur sera pour toi une source de joie ; en te faisant esclave, tu régneras. Tu es la bonne odeur du Christ, joins-y le feu de la commisération, et brûle pour apaiser le Seigneur. Ils méritent pitié, ton cœur est rempli de miséricorde, mets-le donc sur l’autel de la charité. Tu es assis sur le trône élevé des Apôtres, que ton affection pour ces malheureux t’en fasse descendre jusque dans l’abîme où ils sont tombés. Imite le Père, dont la volonté est que pas un de ces petits ne périsse[1]. Imite le Fils bien qu’il eût la forme de Dieu, il a pris la forme d’esclave[2], il est venu pour servir et non pour être servi[3]. Imite le Saint-Esprit, qui, selon Dieu, intercède pour les saints[4]. Il t’engage, lui aussi, à prier pour eux ; car c’est par lui que la charité a été répandue dans ton cœur. Jadis, quand ils marchaient dans les voies de l’erreur, tu les rappelais au bon chemin ; maintenant qu’ils y reviennent, offre-les à Dieu et les lui réconcilie. Tu courais à leur recherche quand ils étaient perdus ; aujourd’hui qu’ils sont retrouvés, prie pour eux. Constitués dans l’état du péché, ils se sont éloignés de la vraie vie et approchés des portes de l’enfer, qui ne prévaudront jamais contre celui dont tu tiens la place. Depuis quatre jours Lazare se trouvait enfermé dans le tombeau par une lourde pierre
aussi son cadavre exhalait-il déjà une odeur insupportable ; le Sauveur l’a rappelé du séjour de la mort et lui a commandé, d’une voix forte, de sortir de son sépulcre[5] : mais, bien que déjà rendu à la vie, il se trouvait encore paralysé dans ses mouvements par ses funèbres liens ; il n’appartenait donc pas encore à la société des vivants. « Déliez-le », dit Jésus, « et laissez-le aller[6] ». Ainsi l’intervention de l’homme devait achever l’œuvre bienfaisante de Dieu. Je comparerais ces pécheurs à Lazare. Leurs iniquités les avaient fait mourir ; ils gisaient sans vie, écrasés par le désespoir, et répandaient autour d’eux l’odeur fétide de la corruption de leurs mœurs. Ramenés à la vie par la puissance divine, ils confessent leurs égarements et sortent déjà des profondeurs de leurs ténèbres ; mais comme ils sont encore enveloppés dans l’étroit linceul de leur culpabilité, ils se trouvent toujours séparés de la communion des saints. Dieu les a ressuscités, mais nous te les présentons pour que tu les délies, surtout parce que tu occupes le siège de l’Apôtre à qui il a été dit : « Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel[7] ». Sans doute, tes entrailles, qui sont celles de la sainteté et de la miséricorde, n’ont pas besoin de nos exhortations pour s’émouvoir ; ce que je demande en leur faveur sera moins le fruit de mes prières que celui de ta paternelle affection. Néanmoins, les bons offices que nous leur rendons aujourd’hui ne leur paraîtront pas hors de propos, puisque nos paroles leur feront estimer davantage les dons de Dieu, et mieux comprendre ce qu’ils devront à tes mérites. Notre Père, qui est au ciel, sait, en effet, ce qui nous est indispensable, avant même que nous le lui demandions[8] ; et, pourtant, il nous engage à le lui demander, et, quand nous le lui demandons, il nous l’accorde. À voir sa générosité répondre à nos demandes, nous l’aimons plus vivement, et nous reconnaissons mieux en lui notre Père ; si, au contraire, il nous accordait ses bienfaits, avant que nous lui en ayons manifesté le désir, nous les regarderions, non comme des dons gratuits, mais comme des redevances obligées.
4. Voilà mon devoir accompli ; j’ai parlé de mon mieux, et, toutefois, mes paroles ont à

  1. Mat. 18, 14
  2. Phi. 2, 6-7
  3. Mat. 20, 28
  4. Rom. 8, 34
  5. Jn. 11, 1 et suiv
  6. Id. 44 et suiv
  7. Mat. 18, 18
  8. Id. 6, 8