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Nous resterons dans le mauvais chemin. Ne sont-ce point d’impudents contempteurs du Très-Haut ? aussi une condamnation à mort les attend. Puisse chacun de nous dire à Dieu : « J’ai péché[1] », car aussitôt il répondra : J’ai pardonné. Par l’effet ordinaire de sa bonté, Dieu veut accorder aux pécheurs le pardon de leurs fautes, mais, par l’effet habituel de leur malice, les coupables sont tout prêts à refuser leur grâce.
2. La source du pardon est ouverte à quiconque veut vivre. Mes frères, vivons, et vivons bien ; car la vie présente passera avec le temps, mais la vie future ne finira jamais. Mais on vous voit aimer cette vie terrestre de manière à réaliser en vous ce que dit Salomon : « Je me suis créé des musiciens et des musiciennes, des échansons et des femmes chargées de me verser à boire »[2], et le reste « et je n’ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger[3] ». Tu choisis volontiers un pareil genre de vie ; pourquoi donc ne pas faire encore ce qu’il ajoute : « Je n’ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger, et cela est vanité des vanités ?[4] » C’était justice, car il n’y a vraiment en cela que vanité. Vivre et bien faire, voilà ce qui s’appelle vivre ; mais vivre et mal agir, ce n’est pas réellement vivre. Vivons donc ce petit espace de temps, de manière à mériter de vivre beaucoup dans le séjour éternel qui nous attend. Ici-bas, en effet, ne sommes-nous pas comme en un lieu de passage ? un jour viendra où nous devrons en sortir, et tu nourris des désirs pareils à ceux que tu nourrirais, si tu ne savais pas d’où tu viens. Le monde est devenu la demeure de ton corps, et celui-ci le domicile de ton âme. Ton corps est comme un prolongement du monde, et ton âme lui est étrangère. Le séjour de ton corps est ici-bas ; celui de ton âme, c’est le ciel ; car « ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit[5] ». La chair est venue de la terre et y retournera ; l’esprit est venu du ciel, et quand se briseront les liens qui l’unissent au corps, il y rentrera. Mais quelle dure nécessité, sortir de ce monde ! Où iras-tu donc à ce moment-là ? tu sortiras du monde pour aller au ciel. On redoute de pénétrer dans la maison d’un grand personnage inconnu : par quel moyen gravir les degrés de l’échelle qui aboutit au ciel ? Malgré une conscience pure, on tremble en face d’un tribunal de la terre ; la voix et l’aspect d’un juge remplissent l’âme d’épouvante quelles seront donc les émotions des pécheurs, quand il leur faudra paraître devant Dieu, eux que la seule vue des Anges suffit à jeter dans le trouble ?
3. Si je ne me trompe, mes frères, la comparaison que je viens d’employer ne manque pas de justesse ; mais si la crainte a glacé nos cœurs, que la prière s’échappe vite de nos lèvres ; que notre pénitence efface, en un clin d’œil, les fautes que notre ignorance a été si longtemps à commettre. Croyez-moi, mes frères, puisqu’en agissant ainsi vous ajoutez foi, non pas à mes propres paroles, mais au commandement du Seigneur, que vous venez d’entendre. La population de Ninive vivait, mais elle ne vivait pas bien ; c’est pourquoi le Seigneur dit au prophète Jonas : « Va dans la grande ville ; là, prêche avec force contre elle, parce que le bruit de sa malice est monté jusqu’à moi[6] ». Sa mission avait été d’être un humble prédicateur, et, de fait, il se montra un grand contempteur. On l’avait envoyé à Ninive, et ce fut à Tarse qu’il se rendit. Il méprisa Dieu et s’enfuit dans un vaisseau, comme si la puissance de Dieu ne s’étendait pas jusque sur mer ! Alors il se mit à dormir ; sa sécurité était telle que, durant son sommeil, il ronflait. Pendant ce temps-là, les nautonniers jetaient à l’eau tous les vases qui se trouvaient sur le navire, ils pleuraient, car ils se croyaient condamnés à périr misérablement. Lève-toi ! s’écrièrent-ils enfin ; il faut que nous sachions par le fait de qui nous vient notre malheur. Désigné publiquement par les sorts, il ne chercha point à nier sa faute ; au contraire, il se condamna lui-même. « Prenez-moi », dit-il, « jetez-moi dans la mer, et la tempête s’apaisera[7] ». Les matelots le précipitèrent du haut du vaisseau et, en dessous des flots, se trouva une baleine qui l’engloutit. Au sein des abîmes son tombeau fut le ventre d’un poisson, et celui-ci le garda intact, dans ses entrailles, l’espace de trois jours. Jonas en sortit aussi sain qu’il y était entré ; alors il se montra docile et accomplit les ordres divins qu’il avait d’abord méprisés et éludés ; aussi le peuple et la ville tout entière firent-ils pénitence en versant des

  1. 2Sa. 12, 13
  2. Ecc. 2, 8
  3. Id. 8, 15
  4. Id. 1,2
  5. Jn. 1, 12
  6. Jon. 1, 2
  7. Jon. 1, 12