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VINGT-HUITIÈME SERMON. SUR LES TRIBULATIONS ET LES MISÈRES DE CE MONDE.

ANALYSE. —1. Notre époque n’est pas plus mauvaise que les précédentes. —2. on le prouve par des exemples.— 3. et par l’expérience actuelle. —4. Quels jours peut-on appeler bons ?
1. Toutes les fois que nous éprouvons quelque tribulation ou quelque misère, nous devons y voir un avertissement et une correction. Nos saints Livres eux-mêmes ne nous promettent pas, en effet, la paix, la sécurité et le repas : ils nous annoncent, au contraire, des tribulations, des misères et des scandales. L’Évangile ne s’en tait pas : « Mais », dit-il, « celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[1] ». De quel bonheur l’homme a-t-il joui en cette vie, depuis le moment où notre premier père nous a mérité la mort et a reçu la malédiction de Dieu, malédiction dont le Seigneur Christ nous a délivrés ? « Mes frères », dit l’Apôtre, « ne murmurez pas, comme quelques-uns d’entre eux ont murmuré et ont trouvé la mort dans la morsure des serpents[2] ». Aujourd’hui, mes frères, le genre humain est-il soumis à des épreuves inconnues jusqu’à nos jours, et que nos pères n’aient pas subies avant nous ? Ou plutôt, souffrons-nous seulement ce que, au dire de l’histoire, ils ont souffert en leur temps ? Et tu rencontres des hommes qui murmurent de l’époque actuelle ! Quand est-ce que nos aïeux ont eu à se louer entièrement de leur existence ? Hé quoi ? Si l’on pouvait faire remonter ces hommes au temps de leurs pères, ils murmureraient encore. Parmi les siècles passés, lequel, à ton avis, a été bon ? Ils t’apparaissent bons, parce que tu n’y as pas vécu. Aujourd’hui, pourtant, tu as échappé à la malédiction, tu crois au Fils de Dieu, tu es imbu et instruit de là doctrine renfermée dans nos saints Livres. Je m’étonne de te voir supposer qu’Adam ait passé une vie paisible : or, tes parents n’ont-ils pas hérité d’Adam ? C’est bien à lui que Dieu a adressé ces paroles : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu travailleras la terre d’où tu as été tiré, et elle te produira des ronces et des épines[3] ». Il a mérité cette punition, il l’a reçue et ç’a été l’effet du juste jugement de Dieu.
2. Pourquoi donc t’imaginer que les temps anciens ont été meilleurs que le temps présent ? Depuis le premier Adam jusqu’à l’Adam d’aujourd’hui, il y a eu travail et sueurs, ronces et épines. Il y a eu le déluge, des moments difficiles, des années de famine et de guerre, les annales de l’histoire en font mention ; nous ne devons donc point prendre occasion des jours actuels, pour murmurer contre Dieu. Nos ancêtres ont vu jadis, et il y a de cela bien longtemps, de bien tristes choses : alors se vendait à poids d’or la tête d’un âne mort[4] ; on achetait à prix d’argent la fiente de pigeons[5] ; on vit même des femmes s’engager mutuellement à faire mourir leurs enfants pour les manger[6] : lorsqu’elles furent arrivées à bout du premier, la mère du second ne consentit point à tuer le sien : la cause fut donc portée au tribunal du roi, et celui-ci se reconnut plutôt comme coupable que comme juge. Mais à quoi bon rappeler les guerres et la famine de ce temps-là ? Qu’elles ont été terribles, les calamités d’alors ! À en entendre le récit, à le lire, nous frémissons tous d’horreur. En réalité, n’est-ce point pour nous un motif de remercier Dieu, au lieu de nous plaindre de l’époque où nous vivons ?
3. Quand le genre humain s’est-il trouvé à l’aise ? En quel temps n’a-t-on pas vu régner la crainte et la douleur ? Le monde a-t-il jamais joui d’une félicité durable ? De trop vieilles misères n’ont-elles pas toujours été son partage ? Si tu ne possèdes pas, tu brûles d’acquérir ; et si tu possèdes, ne crains-tu point de perdre ? et ce qu’il y a en cela de plus malheureux, c’est qu’en dépit de tes désirs et de tes craintes, tu te trouves bien. Tu vas épouser une femme : qu’elle soit mauvaise, elle fera ton supplice ; qu’elle soit bonne, tu auras une peur incessante de la voir mourir. Avant de naître, les enfants sont une source de douleurs atroces ; ils n’inspirent que des inquiétudes, une fois qu’ils sont nés. Qu’on est heureux à la naissance d’un enfant, et, toutefois, comme on redoute de le voir mourir et de le pleurer ! Où rencontrer une existence à l’abri du malheur ? La terre que nous habitons ne ressemble-t-elle pas à un immense navire ? Ne sommes-nous pas, comme des nautonniers, ballottés au gré des flots, sans cesse exposés à perdre la vie, toujours battus par l’orage et la tempête, à chaque instant menacés du naufrage, et soupirant ardemment après le port ; car ils ne sentent que trop qu’ils sont des passagers ? Par conséquent, peut-on vraiment appeler bons des jours remplis d’incertitude, qui passent avec la rapidité de l’éclair, dont on peut dire qu’ils ont fini avant de commencer, et qu’ils ne viennent qu’afin de cesser d’être ?
4. Donc, « où est l’homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux ?[7] » Pour ce bas monde, il n’y a, à vrai dire, ni vie, ni jours heureux. Les seuls jours de bonheur sont ceux de l’éternité. Ce sont des jours,

  1. Mat. 10, 22
  2. 1Co. 10, 10
  3. Gen. 3, 18-19
  4. 2Ro. 2, 25
  5. ibid
  6. 2Ro. 6, 46
  7. Psa. 33, 13