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glaive a suffi pour lui trancher la tête et la séparer de ses membres ; un seul coup l’a réuni à son chef, à son Sauveur ! Il s’échappe des entraves de la chair, et les anges l’emportent triomphalement dans le ciel. Avec les dehors de la douceur, on lui adresse des questions cruelles, et il répond avec force sans perdre la patience. – Sacrifie aux dieux de Rome, lui dit le juge : observe les ordres de l’empereur. – A cela, saint Cyprien répond : Je suis chrétien et évêque, et ne connais pas d’autre Dieu que le Dieu unique et véritable : pour lui je suis prêt à endurer toutes sortes de tourments en cette vie : ainsi pourrai-je espérer de ressusciter un jour à la vie éternelle. – Choisis de deux choses l’une, ou d’aller en exil à Curube, ou de te conformer au culte que pratiquent les Romains. – Je m’en vais où tu me forces d’aller ; mais je refuse ce que tu me demandes : le Christ, chef des martyrs et pontife des prêtres, m’accompagnera dans mon exil. – Il part donc pour la terre étrangère, mais le courage qu’il réservait pour l’heure de la souffrance ne l’abandonne pas ; car le Christ est avec lui. Il méprise les biens d’ici-bas, parce qu’il veut acquérir ceux du ciel : il abandonne les avantages du temps pour entrer en possession du bonheur céleste. Ce soldat du Christ engage le combat avec les armes de la foi, et, dans sa lutte avec de cruels ennemis, il ne faiblit pas un instant. Son armure n’est autre que la cuirasse de la foi : pour se battre et remporter la victoire, il ne se sert pas du glaive ; la patience lui suffit, et, en mourant, il reçoit du Dieu éternel la vie qui faisait l’objet de ses désirs. Chaque jour, dans ses prières, il disait avec le prophète David : « Je suis sûr de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants [1] ». Et il ajoutait : « Quand irai-je et paraîtrai-je devant Dieu[2] », pour entrer en possession « de ce que l’œil de l’homme n’a point vu, de ce que son oreille n’a point entendu, de ce que son cœur n’a point compris, de ce que le Seigneur réserve à ceux qui l’aiment ? »
3. On le rappelle de l’exil pour l’entendre une seconde fois. Pendant qu’on le gardait en prison, il veillait soigneusement à la garde de la chasteté ; il ordonnait de surveiller les vierges sacrées, car, disait-il, il ne faut point que la pratique de la charité leur fasse perdre la pureté[3]. Le peuple chrétien couchait à la porte de son cachot, faisant le guet, se moquant de toutes les menaces par amitié pour le pasteur, désirant mourir pour lui, vénérant en lui le prêtre et le martyr. On donne à l’évêque une nouvelle audience à la suite de laquelle se consommera son triomphe. La rude voix du juge se fait entendre, la courageuse réplique du martyr lui fait écho alors s’inscrit sur les tables, à l’aide du stylet, la cruelle sentence de mort, et, en même temps, se prépare dans le ciel la couronne qui doit illustrer Cyprien. On va lui trancher la tête, et il remercie Dieu de ce qu’il va sortir de ce monde. La foule des fidèles s’écrie : Nous voulons mourir avec lui, afin de nous retrouver avec lui au jour de la rédemption. Dans le sentiment de leur filiale affection, les enfants veulent endurer le martyre avec leur père, mais à condition qu’il les précédera devant Dieu ; ils prétendent le suivre, comme les petites branches de l’arbre suivent la racine. On arrive avec lui en pleurant jusqu’au lieu de l’exécution : on veut assister à ses derniers moments, tant est vive l’amitié qu’on a pour lui. Pour se revêtir du martyre, il se dépouille du byrrhus ; pour mourir, il met en terre des genoux qui ne devaient point trembler devant le tribunal du Christ, car il devait y recevoir une ample récompense pour son sang versé, et là son chef devait lui rendre sa tête.

  1. Ps. 26, 13
  2. Id. 41, 3
  3. 1 Cor. 2, 9