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pourra-t-il se faire pour moi ? Je suis vieux, a et ma femme est stérile et avancée en âge[1] ». Un ange envoyé de Dieu annonce à Zacharie qu’Élisabeth lui donnera un fils ; mais le grand-prêtre sait qu’il est, comme sa femme, avancé en âge, et il doute de la réalité de l’événement. En même temps qu’il refuse de croire à la puissance de son âge, il nie le pouvoir de la souveraine majesté, oubliant que rien n’est impossible à Dieu. L’ange lui répond en ces termes : « Puisque tu n’as pas cru à ma parole, qui s’accomplira en son a temps, tu seras muet et tu ne pourras parler, jusqu’au jour où ces choses arriveront[2] ». Que devons-nous penser, mes très-chers frères ? Devons-nous croire que ce prêtre soit entré dans le Saint des saints avec l’intention de demander à Dieu un fils ? Non. Où en est la preuve, me dira quelqu’un ? La voici en deux mots. Si Zacharie avait demandé un fils, il aurait évidemment cru à la parole de l’ange du Seigneur, qui venait le lui annoncer : or, quand cet esprit céleste lui dit qu’il lui naîtrait un fils, il refusa d’ajouter foi à cette nouvelle. Quand on prie, n’espère-t-on pas ? Celui qui espère ne croit-il pas au résultat final ? Si tu n’as aucun espoir, pourquoi pries-tu ? et si tu espères, pourquoi ne pas croire ?
3. Néanmoins, Élisabeth portait dans son sein l’enfant qu’elle avait conçu : le sentiment de honte pudique que lui inspirait sa grossesse l’empêchait de se montrer en public ; car elle rougissait de son état. Ce sentiment lui rappelait le souvenir de son âge avancé : au temps de sa vieillesse, elle produisait le fruit de la jeunesse : elle n’avait pas enfanté à l’époque où elle aurait désiré le faire et, maintenant qu’elle n’y aspirait plus, elle mettait au monde un enfant. Stérile pendant sa jeunesse ; elle allaita quand elle eut vieilli. Ce ne fut point chez elle l’effet d’une affection réciproque et charnelle, mais le résultat de la promesse faite par la Toute. Puissance divine ; car Zacharie ne croyait pas qu’il pût lui naître un fils, et, d’autre part, Dieu se préparait à envoyer un Prophète. C’est donc par l’esprit de l’homme, mais aussi par l’ordre de Dieu, que Jean est venu au monde : le Prophète est né, mais non sans inspirer une secrète envie à son père, à ce père dont l’incrédulité paralysa la langue. Pour n’avoir pas cru au commandement de Dieu, il vit sa langue condamnée au silence.
4. L’enfant tressaillit dans le sein de sa mère, et, du fond des entrailles maternelles, il prophétisa. « D’où me vient que la Mère de mon Seigneur s’approche de moi[3] ? » Mes frères, quelle profonde humilité chez la Mère du Sauveur ! Elle s’approche de la mère du Précurseur ! Jean salue le Christ, et pourtant ni l’un ni l’autre ne se montrent aux yeux. En effet, le Christ ne résidait-il pas dans le sein de Marie, et Jean dans celui d’Élisabeth ? Enfin, une voix prophétique, venue de la personne du Christ, a dit de Jean. « Avant de t’avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t’ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t’ai sanctifié, je t’ai établi prophète parmi les nations[4] ». Qu’elles sont heureuses, les mères de tels personnages, puisqu’elles ont mis au monde, l’une un saint, et l’autre son Seigneur ! Elles seront toujours heureuses, puisqu’elles ont mérité d’être appelées les mères de si grands personnages.
5. Examinons attentivement la naissance de l’un et de l’autre, et nous remarquerons le caractère distinctif de chacun de ces admirables enfantements. Jean est né d’une femme stérile, et le Christ d’une vierge. Chez Élisabeth, la stérilité est devenue féconde en Marie, la fécondité a laissé intacte la virginité. La femme stérile a engendré le héraut, la vierge a enfanté le Juge. Élisabeth a mis au monde Jean, le baptiseur, Marie a donné le jour à Jésus-Christ, le Sauveur. De Jésus-Christ et de Jean, l’un est Seigneur et l’autre est esclave ; en celui-ci l’humilité, en celui-là la grandeur ; d’un côté, un Dieu humble dans sa grandeur ; de l’autre, un homme humble dans sa faiblesse ; ici, un Dieu humilié à cause de l’homme ; là, un homme plongé dans la bassesse à cause de l’infirmité de sa propre nature. De fait, bien s’est anéanti pour faire du bien à l’homme, et l’homme s’est abaissé pour ne pas se faire de mal à lui-même.
6. Que le serviteur reconnaisse son état d’humiliation, et que le Tout-Puissant manifeste sa grandeur. Que le même Jean profère ces paroles : « Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers[5] ». S’il avait dit : Je suis digne, il se serait déjà profondément humilié ; car à dire : Je suis digne,

  1. Luc. 1, 8-18
  2. Id. 19-20
  3. Luc. 1,43
  4. Jer. 1, 5
  5. Luc. 3, 16