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amenés dans le chemin, si nous ne le faisons ; mais il nous veut ramener dans la voie, nous conduire à la patrie. Dès lorsque nous tenons de Dieu tous nos biens, c’est louer Dieu sans fin que penser dans nos bonnes œuvres à celui qui nous a donné tout bien ; mais, puisque bien vivre, c’est louer Dieu sans fin : « bénissons Dieu en tout temps, et qu’ainsi sa louange soit toujours dans notre bouche[1] ». Il dit donc : « Sept fois le jour, je vous bénirai », indiquant par le nombre sept, que ce sera toujours. Donc alors, quand ton frère se rendrait coupable sept fois le jour contre toi, s’il te vient dire : Je m’en repens, pardonne-lui. Ne te fatigue point de pardonner toujours au repentir. Si tu n’étais toi-même débiteur, tu pourrais impunément fatiguer par tes exactions ; mais si tu as un débiteur, tu es débiteur toi-même de celui qui n’a aucune dette, et dès lors, c’est à toi de voir comment tu dois agir à l’égard de ton débiteur ; car Dieu en agira de même envers toi. Écoute et tremble « Que mon cœur tressaille, et que je craigne votre nom[2] », dit le Prophète. Si tu tressailles quand on te pardonne, crains, afin de pardonner. Or, le Seigneur daigne lui-même te donner la mesure de la crainte que tu dois avoir, quand il te propose, dans l’Évangile, ce serviteur avec qui son maître voulut entrer en compte, qu’il trouva débiteur de cent mille talents ; « qu’il ordonna de vendre, lui et tout ce qu’il avait, pour acquitter sa dette[3] ». Ce serviteur tombant aux pieds de son maître, et l’implorant pour obtenir un délai, mérita que sa dette lui fût remise. Or, en sortant de devant la face de son maître, qui lui avait remis entièrement sa dette, il rencontra un de ses compagnons qui était aussi son débiteur, qui lui devait cent deniers, et qu’il prit à la gorge pour le contraindre à payer. Quand on lui avait remis sa dette, son cœur avait tressailli, mais non point de manière à craindre le nom du Seigneur son Dieu. Le serviteur qui lui devait, disait à ce compagnon ce que celui-ci avait dit à son maître : « Ayez patience avec moi, et je vous rendrai tout ». Non, répondait l’autre, tu payeras aujourd’hui. On raconta au père de famille ce qui venait de se passer ; et, vous le savez, non-seulement il le menaça de ne plus rien lui remettre à l’avenir, s’il le trouvait redevable encore, mais il fit retomber sur sa tête ce qu’il avait remis, et le condamna à payer ce qu’il lui avait quitté[4]. Comment donc nous faut-il craindre, mes frères, si nous avons la foi, si nous croyons à l’Évangile, si nous ne pensons point que Dieu puisse mentir ? Craignons, observons, soyons sur nos gardes, pardonnons. Que pourrais-tu perdre en pardonnant ? Tu n’as point à donner de l’argent, mais un pardon, et néanmoins, à donner de l’argent, vous ne devez pas être des arbres stériles. Donner de l’argent, c’est secourir un pauvre ; pardonner, c’est secourir un pécheur. Le Seigneur voit chacun de ces actes, il a une récompense pour chacun, une exhortation pour chacun : « Remettez, et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera[5] ». Mais toi qui ne sais : ni pardonner, ni donner, tu conserves et colère et argent. Vois où ta colère ne saurait plus se racheter par l’argent : « Car les trésors ne serviront de rien aux méchants ». La sentence n’est point de moi, elle est de Dieu ; ceux qui l’ont lue, le savent bien ; je l’ai lue pour vous la redire, j’y ai cru pour vous en parler : « Les trésors ne serviront de rien aux méchants[6] ». Il semble qu’ils pourront servir ; mais ils ne serviront point. Et dans le présent ? Peut-être, si toute fois ils peuvent servir ; mais en ce jour ils ne serviront de rien. Qu’on les garde, ils ne serviront point ; qu’on les méprise, et ils serviront. Bien user de la justice, c’est l’aimer ; et si tu ne l’aimes, tu ne saurais avoir la force, la tempérance, la chasteté, la charité. Quant aux autres qualités de l’âme, c’est les aimer, qu’en bien user ; mais faire bon usage de l’argent, c’est ne pas l’aimer. Enfin, si l’on aime l’argent, qu’on le garde pour le ciel. Si l’on peut craindre de le perdre, qu’on le place dans un endroit plus sûr. Car on ne saurait dire que, s’il s’agit de conserver de l’argent, c’est ton serviteur qui est fidèle et ton Seigneur qui te trompe. Ne l’entends-tu point dire : « Amassez-vous des trésors dans le ciel ? » Ce n’est point là te commander de le perdre, mais de l’envoyer devant toi : « Amassez-vous des trésors dans le ciel, où le voleur ne saurait approcher, où la rouille ne ronge point ; car où est votre trésor, là

  1. Psa. 33, 2
  2. Id. 85, 11
  3. Mat. 18, 32
  4. Ceci n’est point dans l’Évangile, et toutefois c’est une conséquence légitime qu’en tire saint Augustin. C’est ainsi qu’au sermon 5 de l’édition il a tiré la même conclusion : « Qu’ils prennent garde, en refusant de pardonner l’offense qu’on pourrait leur avoir faite, que non-seulement on ne leur pardonne plus à l’avenir, mais que les fautes pardonnées ne retombent sur eux ».
  5. Luc. 6, 37
  6. Pro. 10, 2