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propos du Christ, il est écrit, en effet, que « la parole ou le Verbe était au commencement[1] ». Mais Jean a dit, en parlant de lui-même : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert[2] ». La parole s’adresse au cœur, la voix à l’oreille. Que la voix arrive à l’oreille quand la parole n’arrive point à l’âme, elle n’est qu’une production vaine, qui n’a aucun fruit utile. Et néanmoins, pour arriver à mon cœur, le Verbe n’a pas besoin de la voix ; mais pour transmettre à ton cœur ce qui est né dans le mien ; il faut le secours de la voix. Ma parole peut donc précéder ma voix, mais le Verbe ne saurait se produire au-dehors sans la voix. C’est pour que la voix est créée, non pour enfanter la parole qu’elle connaît, mais pour émettre la parole qui était déjà. Après avoir ainsi parlé de la parole et de la voix, ou du Christ et de Jean, voyons quelle parole est le Christ, quelle voix est Jean. « Au commencement était le Verbe », la parole. Où était-il ? « Et le Verbe était en Dieu ». Combien avant nous ! Et combien au-dessus de nous ! « Et le Verbe s’est fait chair pour demeurer parmi nous[3] ». Et d’où le saurions-nous, si nous n’avions entendu la voix ? Car le Christ vêtu d’une chair mortelle marchait parmi les hommes, et les hommes venaient à Jean, et lui disaient : « Êtes-vous le Christ ? » et Jean répondait : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde[4] ». Écoutez-le, reconnaissez-le ; c’est lui que je précède, lui que j’annonce. Souvenez-vous de cette parole : « Je suis la voix de celui qui crie au désert préparez la voie au Seigneur » ; non pas à moi, mais au Seigneur. Crier, pour moi, c’est l’annoncer ; car la voix du crieur, c’est l’arrivée du juge. Or, quand sera venu celui que j’annonce, quand il reposera dans votre cœur, « c’est lui qui doit croître et moi diminuer[5] » ; le savez-vous ? Oui, répondirent-ils[6]. Quand le verbe, en effet, empruntant le secours de la voix, prend le chemin du cœur et arrive dans cette région la plus intime, ce verbe grandit dans le cœur, et la voix s’éteint dans l’oreille. Le son qui frappe l’oreille n’y demeure point, puisqu’il ne saurait se soutenir infiniment et qu’il descend dans l’âme. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’« il faut qu’il croisse et que je diminue1. Jean, 1, 32]]</ref> ». Jean baptise, et le Christ baptise aussi. Il fut dit à Jean : « Celui sur qui tu verras l’Esprit -Saint descendre comme une colombe et se reposer, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit et dans le feu[7] ». Voilà ce que vous savez, mes frères, et ce qui arriva quand Jésus fut baptisé. Voilà que dans l’univers entier c’est lui qui baptise. Partout a grandi ce baptême du Christ, tandis que le baptême de Jean, bien qu’il eût une signification dans le souvenir du passé, n’a néanmoins aucune signification pour le présent. Ce baptême de Jean a cessé, tandis que le baptême du Christ a grandi ; de là cette parole : « Il doit grandir et moi diminuer ». Or, cette parole s’accomplit encore à la naissance et à la mort de chacun d’eux. Bien que Jean ait dit de Jean, c’est-à-dire que Jean l’Évangéliste ait dit de Jean-Baptiste ; bien qu’il ait dit : « Un homme fut envoyé de Dieu, dont le nom était Jean ; il vient pour être témoin, pour rendre témoignage à la lumière[8] » ; néanmoins Jean est né, mes frères, à pareil jour, quand la nuit grandissait et que le four commençait à diminuer. Mais le Christ est né, comme vous le savez, au solstice d’hiver, quand, en deuil de la lumière, la nuit commence à décliner. « Nous fûmes autrefois ténèbres, et maintenant nous sommes lumière dans le Seigneur[9] ». Pourquoi naître ainsi ? « Parce que l’un doit grandir, et l’autre « diminuer n. Ce qui s’accomplit encore à leur mort : Jean eut la tête tranchée par le glaive, et le Christ fut élevé en croix ; l’un fut élevé de terre, l’autre jeté à terre ; à l’un, pour le diminuer, on abattit la tête ; l’autre pour le grandir, on l’éleva sur le gibet de la croix. C’est là le Maître et le serviteur. Le Maître mourut sur le gibet de la croix, le serviteur eut la tête tranchée ; de là cette parole : L’un doit grandir, l’autre diminuer. Ce n’est pas sans raison, je crois, que tel âge fut choisi dans les mères. La mère de Jean fut une femme avancée en âge, tandis que celle du Christ fut une jeune vierge. Il était porté dans le sein d’une vierge, et les anges l’adoraient dans le ciel. L’un est mis au monde par une femme qui désespérait de sa stérilité, l’autre par une vierge intacte ; enfin, l’un, par une vierge qui grandit encore, et l’autre par une femme sur son déclin.

  1. Jn. 1, 1
  2. Id. 23
  3. Id. 1, 1,14
  4. Id. 29
  5. Id. 3, 30
  6. Ces paroles pourraient bien avoir été ajoutées par quelque scribe.
  7. Mat. 3, 15
  8. Jn. 1, 8
  9. Eph. 3, 8