Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/519

Cette page n’a pas encore été corrigée

entendez, et ne l’ont point entendu[1] ». Et pourtant, n’était-ce point lui qui les envoyait ? Tous, néanmoins, avaient le désir de voir le Christ en sa chair, s’il leur était possible. Mais comme ils moururent avant lui, de même qu’ils étaient nés avant lui, le Christ ne les trouva plus sur la terre, bien qu’il les rachetât pour la vie éternelle. Et pour connaître combien tous désiraient de voir le Christ ici-bas, rappelez-vous ce vieillard Siméon, qui n’avait pas reçu du Saint-Esprit une médiocre faveur, dans l’assurance qu’il ne sortirait point de ce monde sans avoir vu le Christ. Or, après la naissance du Christ, Siméon le vit enfant dans les bras de sa mère ; il prit dans ses mains celui dont la divine puissance le portait lui-même ; et tenant dans ses bras le Verbe enfant, il bénit Dieu en disant : « C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur, selon votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut[2] ». Les autres Prophètes n’ont pas vu le Christ ici-bas ; Siméon l’a vu enfant ; Jean le connut après sa conception et le salua ; Jean l’annonça, le vit, le montra du doigt et dit : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde[3] ». Il est donc supérieur à tous les autres. Écoute ce témoignage que lui rendit le Seigneur, qui se dit plus grand que lui, mais qui ne l’accorde à nul autre. Il était grand sans doute, celui à qui nul autre que le Christ ne pouvait se préférer. Voici donc ce que dit le Seigneur : « Parmi ceux qui sont nés de la femme, nul ne s’est élevé au-dessus de Jean-Baptiste ». Mais, pour se mettre lui-même au-dessus de lui, il ajoute : « Le plus petit néanmoins dans le royaume des cieux est plus grand que lui[4] ». Il se dit donc moindre et plus grand ; moindre par le moment de la naissance, plus grand par la domination ; moindre par l’âge, plus grand par la majesté. Le Seigneur est né après Jean, mais c’est dans sa chair, mais c’est d’une Vierge, et avant lui a il était, le Verbe dès le commencement ». Admirable merveille ! Le Christ vient après Jean, et Jean néanmoins vient par le Christ : « Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui[5] ». Pourquoi donc Jean est-il venu ? Pour nous montrer le chemin de l’humilité, diminuer la présomption de l’homme, augmenter la gloire de Dieu. Jean est donc venu dans la grandeur prêcher celui qui est grand ; Jean est venu pour être la mesure de l’homme. Qu’est-ce que la mesure de l’homme ? Nul homme ne pouvait être plus grand que Jean tout ce qui était plus grand que Jean était plus qu’un homme. Si donc Jean nous donnait en lui la mesure de la grandeur humaine, tu ne pouvais trouver un homme plus grand que Jean, et si tu en as trouvé un, il te faut confesser qu’il est Dieu, puisque tu l’as trouvé supérieur à l’homme. Jean est un homme, le Christ est un homme, mais Jean est seulement un homme, le Christ est Dieu et homme. Dieu, il a fait Jean ; homme, il est né après Jean. Et toutefois, voyez combien s’humilie ce précurseur de son Seigneur Dieu et homme ; on demande à celui qui n’a point son supérieur parmi ceux qui sont nés de la femme s’il n’est pas le Christ ? Telle était sa grandeur, que les hommes pouvaient s’y tromper : on fut incertain s’il n’était pas le Christ, et on en fut incertain jusqu’à l’interroger. Un fils de l’orgueil, un homme qui ne serait point le docteur de l’humilité, s’imposerait aux hommes abusés, et, sans agir pour les détromper, accepterait ce qu’ils pensaient. Était-ce beaucoup, par hasard, de vouloir persuader aux hommes qu’il était le Christ ? Qu’il eût essayé de le persuader et qu’on ne t’eût point cru, il serait demeuré dans l’abjection, couvert d’opprobre et de mépris parmi les hommes, et damné devant Dieu. Mais il ne lui était pas nécessaire de le persuader aux hommes, puisqu’il voyait qu’ils le croyaient ; qu’il accepte leur erreur, et son honneur va grandir. Mais loin de l’ami de l’Époux cette pensée de vouloir prendre sa place dans l’amour de l’épouse ! il déclara qu’il n’était point ce qu’il n’était point en effet, de peur de perdre ce qu’il était. Jean n’était point l’époux, et comme on l’interrogeait, il dit : « L’Époux est celui qui a l’épouse ; mais l’ami de l’Époux, qui est devant et l’écoute, est plein de joie à cause de la voix de l’Époux[6] ». « Pour moi, je baptise dans l’eau ; celui qui vient après moi est plus grand en moi[7] ». De combien plus grand ? « Tellement que je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers ». Voyez combien il serait encore au-dessous de lui-même, quand il en serait digne ; combien il s’humilierait déjà quand il dirait : Il est

  1. Mat. 13, 27
  2. Luc. 2, 29
  3. Jn. 1, 29
  4. Mat. 11, 11
  5. Jn. 1, 1
  6. Jn. 3, 29
  7. Id. 1, 26