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il n’y aura point richesse pour toi, et pauvreté pour l’ange qui n’a pas besoin d’un cheval, qui ne court pas sur un char, qui ne couvre point sa table d’un tel apparat, à qui l’on ne tisse point de vêtement, puisqu’il est revêtu de lumières ; apprends à connaître les véritables richesses. Tu veux les richesses qui te fourniront de quoi flatter ton palais, rassasier tes entrailles ; celui-là te rendra véritablement riche, qui te donnera de quoi n’avoir pas faim ; car n’avoir pas faim, c’est n’avoir aucun besoin. Quelles que soient, en effet, tes richesses, quand vient pour toi l’heure de dîner, ou avant de te mettre à table, avoir faim c’est être pauvre. Enfin, qu’on desserve la table, et tu respires dans ton orgueil. Ce n’est là que la fumée de nos soins, et non l’exemption du besoin. Vois quelles sont tes pensées, dans le dessein d’augmenter tes richesses. Vois si ton sommeil est facile, quand ton esprit s’occulte ou à ne point perdre ce que tu as amassé, ou à grossir ce que tu as conservé. C’est donc trouver la richesse, que trouver le repos. Éveillé, tu réfléchis à l’augmentation de les richesses ; endormi, tu rêves des voleurs ; inquiet le jour, peureux la nuit, toujours mendiant. Or, celui qui t’a promis le royaume des cieux te veut faire véritablement riche. Et à quel prix ; penses-tu pouvoir acquérir ces véritables richesses, cette vie véritable qui sera éternelle ? Quoi donc ? T’imaginerais-tu qu’elle est réelle, parce que tu l’achèteras au même prix que tu as voulu donner pour acheter ce jour de labeur et de misère ? Mais ce qui est bien plus long doit avoir beaucoup plus de valeur. Que faire, diras-tu ? J’ai donné aux pauvres tout ce que j’avais, et ce qui me reste j’en fais part aux indigents ; que puis-je faire de plus ? Tu as quelque chose de plus, toi-même ; oui, toi-même et en plus : tu fais partie de tes possessions, il faut te donner toi-même. Écoute le conseil que ton Dieu donnait à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ». L’abandonna-t-il après lui avoir tenu ce langage ? De peur qu’il ne crût perdre ce qu’il aimait, le Sauveur le rassura d’abord, et lui montra que ce n’était point perdre, mais mettre en sûreté : « Tu auras », lui dit-il, « un trésor dans le ciel ». Cela suffit-il ? Non. Que faut-il encore ? « Viens et suis-moi[1] ». L’aimes-tu ? Veux-tu le suivre ? Mais il est parti, il s’est envolé : cherche par où ? Je ne sais. O chrétien ! Tu ne sais pas où a passé ton Dieu ? Veux-tu que je te dise par où tu dois le suivre ? Par les angoisses, par les opprobres, par les calomnies, par les crachats sur son visage, par les soufflets, par les meurtrissures de la flagellation, par la couronne d’épines, par la croix, par la mort. Comme tu es lent ! Tu voulais le suivre, tu connais le chemin. Mais tu dis : Qui donc le suit par là ? Rougis d’être homme. Elles l’ont suivi, ces femmes dont nous célébrons la fête aujourd’hui ; car aujourd’hui nous célébrons la fête de ces saintes femmes, martyres à Tibur. Votre Dieu, notre Dieu, leur Dieu, le Dieu de tous, notre Rédempteur, en marchant devant nous dans cette voie étroite et rude, en a fait une voie royale, fortifiée et pure, dans laquelle des femmes font leurs délices de marcher, et tu es lent encore ? Tu ne veux point répandre ton sang pour un sang si précieux ? Voilà ce que te dit le Seigneur ton Dieu : J’ai souffert le premier pour toi ; donne ce que tu as reçu, rends ce que tu as bu. Ne saurais-tu le faire ? Des jeunes enfants, des jeunes filles l’ont pu ; des hommes délicats, des femmes délicates l’ont pu ; des riches l’ont pu ; ces hommes aux grandes richesses, quand est venue fondre sur eux l’épreuve de la souffrance, n’ont été retenus, ni par leurs grands biens, ni par les douceurs de la vie : ils pensaient à ce riche qui en finissait avec ses richesses, pour rencontrer les tourments, et sans envoyer leurs richesses devant eux, ils les ont précédées par le martyre. En face de si nobles exemples, tu affiches de la lenteur ? Et toutefois tu célèbres les fêtes des martyrs. C’est aujourd’hui une fête des martyrs ; j’irai, dis-tu, et peut-être avec une tunique plus belle. Vois avec quelle conscience, aime ce que tu fais, imite ce que tu célèbres, fais ce que tu loues. Mais moi, je ne saurais. Le Seigneur est tout près, soyez sans inquiétude[2]. Mais moi, dis-tu, je ne puis. Loin de toi de craindre la source ; où ces femmes ont été comblées, toi aussi tu peux être comblé, si tu en approches avec avidité, si tu ne t’élèves point comme la colline ; si, au contraire, tu t’abaisses comme la vallée, afin de mériter d’être comblé. Gardons-nous donc, mes frères, de trouver ces exigences trop dures, surtout dans ces temps si féconds en douleurs[3]. Les martyrs ont méprisé le monde

  1. Mat. 19, 21
  2. Phi. 4, 6
  3. Ce sermon fut probablement prêché pendant la première persécution des Vandales, vers l’an 427. (Voir sermon CCXCVI, num. 6-14.) Mais dans l’un il parle des ravages de Rome, ici des ravages de l’Afrique.