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point la fraude et portera ton dépôt. Mais où trouver le Christ, me diras-tu ? Ma foi m’apprend ce que j’ai entendu dans l’Église ; je l’ai appris, je le crois, je suis imbu de ces mystères : Le Christ a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, et quarante jours après il monta aux cieux en présence de ses disciples, pour s’asseoir à la droite de son Père, d’où il doit venir au dernier jour ; comment le trouver ici-bas, pour lui confier mes richesses ? Point de trouble, écoute jusqu’à la fin, et, si tu as écouté, répète jusqu’à la fin. Tu crois ceci, je le sais, que le Christ a été suspendu à la croix, qu’on l’en a descendu, qu’on l’a mis au sépulcre, qu’il est ressuscité, qu’il est monté aux cieux ; mais as-tu lu aussi, quand Saul persécutait son Église, quand il sévissait avec orgueil et cruauté, ne respirant que le carnage, et, dans sa soif du sang des chrétiens, portait des lettres à Damas afin d’amener enchaînés à Jérusalem les hommes et les femmes qu’il trouverait de cette religion[1], as-tu entendu le cri que poussa celui que tu avoues être dans le ciel ? Rappelle-toi ce qu’il dit alors ; qu’as-tu entendu, toi qui as lu ? « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » Or, Paul ne le voyait point, ne le touchait point, et Jésus disait néanmoins : « Pourquoi me persécuter ? » Il ne dit point : Pourquoi persécuter mes serviteurs, mes fidèles, mes saints, mes frères, que tu dois honorer ; il ne dit rien de semblable. Que dit-il donc ? a Pourquoi me persécuter ? » c’est-à-dire mes membres ; et quand ces membres sont broyés sur la terre, la tête se plaint du haut du ciel ; de même que, pour ton pied que l’on écrase sur la terre, ta langue s’écrie : Tu m’écrases, et non : Tu écrases mon pied. Comment donc ne sais-tu point à qui donner ? Celui qui a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » te dit également : Nourris-moi sur la terre. Saul y sévissait, et néanmoins persécutait le Christ ; et toi, donne sur la terre, et tu nourris le Christ. Car le Seigneur a tranché d’avance la question qui t’occupe. « Alors ils seront tout émus ceux qui seront placés à droite, et quand il leur dira : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, ils répondront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ? et aussitôt ils entendront cette réponse : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[2] ». Si donc tu ne veux pas donner ; il y a de quoi t’accuser, mais non t’excuser[3]. C’est donc à propos de ces richesses que le Seigneur te dit : Je t’ai donné le plus salutaire conseil, les aimes-tu ? porte-les ailleurs ; et quand tu les auras portées ailleurs, tu les suivras, tu les suivras aussi de cœur ; « car où est ton trésor, là est aussi ton cœur ». Confier ton trésor à la terre, c’est cacher ton cœur dans la terre et dès qu’il est dans la terre, tu ne saurais sans rougir répondre qu’il est vers le Seigneur », quand tu entends : « En haut le cœur[4] ». Pour moi, dit le Seigneur, je t’ai donné un conseil salutaire au sujet de tes richesses, si tu veux le suivre, si tu veux me comprendre, si tu veux être riche comme le prescrit l’Apôtre, sans orgueil, sans mettre ta confiance en des richesses qui sont incertaines, en donnant facilement, en faisant part de tes biens ; si tu veux te faire un véritable trésor, un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie. Maintenant, interroge-moi, dit le Seigneur ton Dieu ; voilà, diras-tu, que j’ai envoyé au ciel ce que je possède, soit en donnant le tout, soit en possédant le reste comme si je ne le possédais point, usant de ce monde comme n’en usant pas[5]. Le ciel vaut-il tout cela ? S’il le vaut, voilà que je l’ai fait. Est-ce cher ? Il vaut mieux encore. Car il n’est pas réellement de nature à valoir tel ou tel prix ; tu vivras éternellement. Toi, qui donnerais tous ces trésors pour une vie de peu de jours, tu seras là, véritablement riche, puisque tu n’y manqueras de rien. Ton but unique, en recherchant les richesses, est de ne manquer de rien sur la terre. C’est pour cela que tu veux amasser, entasser une boue épaisse qui pèsera sur toi, qui t’écrasera et qui, en se desséchant, te fera une étroite prison. De là vient alors que, pour éviter l’indigence, tu veux pour ton carrosse beaucoup de chevaux, pour ta table des vivres en abondance, pour te couvrir les plus précieux vêtements. En dépit de ces possessions

  1. Act. 9, 2 et suiv
  2. Mat. 25, 37-40
  3. On lit dans l’édition : « Si tu as entendu cette parole, dis franchement : Je ne veux point donner alors tu seras sans excuse et condamné par ta bouche ».
  4. Il y a dans l’édition : « Il te faut rougir comme d’un mensonge, quand tu réponds à cette parole : En haut les cœurs. On dit en effet en haut les cœurs, et aussitôt tu réponds : Nous les avons vers le Seigneur. C’est mentir à Dieu. Pendant une heure tu mens à l’Église, tu mens à Dieu, et toujours aux hommes. Tu dis que ton cœur est vers Dieu, tandis qu’il est caché en terre ; car où est ton trésor, là aussi est ton cœur.
  5. 1Co. 7