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vivre pendant quelques jours, dusses-tu arriver jusqu’à la vieillesse. Car tous les jours de l’homme, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, ne sont que peu nombreux. Adam mourant aujourd’hui, n’aurait vécu que peu de jours, puisqu’il serait arrivé, à la fin. Ce sont donc ces jours si peu nombreux, jours de peine, jours de disette, jours d’épreuve, que tu as rachetés ? Et à quel prix ? Tu ne veux plus rien posséder, pour te posséder toi-même. Veux-tu savoir combien vaut la vie éternelle ? Sois toi-même le supplément du prix. L’ennemi qui avait fait de toi un captif t’a dit : Si tu veux vivre, donne-moi ce que tu as, et pour vivre tu as tout donné, toi racheté aujourd’hui pour mourir demain ; échappé aujourd’hui, pour être massacré demain. Que nos périls nous instruisent, mes frères. Où trouver une pareille ignorance, au milieu et des paroles de Dieu, et des expériences de la vie humaine ? Tu as tout donné, et tu t’es échappé heureux de vivre, et pauvre, et nu, et indigent, et mendiant ; tu as de la joie, parce que tu vis et que la lumière est douce. Que le Christ apparaisse, qu’il pactise avec toi, lui qui, loin de te captiver, a été fait captif pour toi, qui, loin de chercher à te donner la mort, a daigné souffrir la mort pour toi et se donner pour toi. Quelle rançon ! Celui qui t’a fait te dit donc : Faisons une convention Veux-tu te posséder et perdre tout ? Si tu veux te posséder, il faut m’avoir aussi, et te haïr, afin de m’aimer et de retrouver ta vie en la perdant, de peur de la perdre en la conservant. Quant à ces richesses que tu aimes à posséder, et que néanmoins tu es disposé à donner pour conserver cette vie terrestre, je t’ai donné un conseil salutaire. Si tu aimes aussi ces richesses, garde-toi de les perdre en même temps ; mais elles périront ici-bas, où tu les aimes. À ce sujet je te donne aussi un conseil. Les aimes-tu véritablement ? C’est de les envoyer où tu dois les suivre, de peur qu’en les aimant sur la terre, ou tu les perdes pendant ta vie, ou tu les abandonnes à la mort. C’est pour cela, nous dit-il, que je te donne un conseil, je ne te dis point de les perdre, mais de les conserver ; tu veux thésauriser, loin de te le défendre, je t’indique l’endroit ; écoute en moi un conseil, non une défense. Où donc te dis-je de thésauriser ? « Amassez-vous un trésor dans le ciel, d’où n’approche point le voleur, où la teigne et la rouille ne rongent point[1] ». Mais, diras-tu, je ne vois point ce que je place dans le ciel. Tu vois, il est vrai, ce que tu caches dans la terre. Or, voudrais-tu être en sûreté en cachant dans la terre, et dans l’inquiétude, quand tu confies quelque chose à celui qui a fait le ciel et1a terre ? Conserve où tu voudras ; si tu trouves un dépositaire plus fidèle que le Christ, garde tout pour le lui confier. Mais, dis-tu, je confie à mon serviteur. Combien il serait mieux de confier à ton maître. Un serviteur enlève ce qu’on lui confie et prend la fuite ; et au milieu de tant de malheurs, c’est encore un bien que le serviteur emporte le dépôt et s’enfuie, sans amener les ennemis contre son maître. Beaucoup de serviteurs se sont tout à coup tournés contre leurs maîtres et les ont livrés à l’ennemi avec tous leurs biens. À qui donc te fier ? En attendant, diras-tu, je confie mon or à mon serviteur. Ton or à ton serviteur, et ton âme à qui ? À mon Dieu, diras-tu. Combien serait mieux ton or chez celui qui a déjà ton âme ? Pourrait-il, par hasard, fidèle à conserver ton âme, être infidèle à conserver tes richesses ? Ne saurait-il rien conserver pour toi, celui qui te conserve toi-même ? Aie donc confiance. L’affaire de ton serviteur est de ne point enlever, est-elle de ne point perdre ? Toute sa fidélité consiste à ne point te tromper. Or, tu fais attention à sa fidélité, et non à sa faiblesse ? Il a déposé, mais non caché ton trésor ; un autre vient et t’enlève. Or, quelqu’un pourrait-il en agir ainsi envers le Christ ? Secoue donc ta paresse, reçois un conseil et thésaurise pour le ciel. Que dis-je, secoue ta paresse, comme si c’était un labeur que thésauriser pour le ciel ; et quand même ce serait un labeur, il n’en faudrait pas moins agir, entreprendre ce labeur et y déposer ce que nous avons soin de mettre dans un endroit sûr, afin que nul ne l’enlève. Et toutefois le Christ ne te dit point : Amasse des trésors dans le ciel, cherche des échelles, procure-toi des ailes, mais bien : Donne-moi sur la terre, et je te conserverai pour le ciel. Oui, dit-il, donne-moi sur la terre ; car c’est pour cela que j’y suis venu pauvre, afin de t’enrichir dans le ciel. Prépare-toi un moyen de passer. Tu crains la fraude, qui te ferait perdre. Voudrais-tu un homme pour le porter où tu dois aller ? Le Christ est à ton service dans l’un et dans l’autre cas. Il ne connaît

  1. Mat. 6, 20