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talent confié par Dieu.— Folie de l’homme qui ne désire rien que de bon, excepté sa vie.— Le sort du mauvais riche et de Lazare.— Bonheur du ciel pour les justes, apprécié par ce que Dieu fait pour les méchants.— Les largesses de Dieu ne l’appauvrissent point.— Nécessité d’attendre avec foi.— Fausse sécurité du pécheur retardataire qui n’a pas de lendemain assuré.—3. Exhortation au pécheur de se convertir au plus tôt.— Ne nous endormons point en cette vie, qui n’a aucune sécurité.

1. Cette journée, mes frères, m’avertit de réfléchir plus attentivement au fardeau qui me charge. Sans doute il me faut y penser nuit et jour, mais je ne sais comment cet anniversaire vient en pénétrer mes sens au point que je n’en puis détourner ma pensée, et à mesure que s’avancent, ou plutôt que fuient les années, nous rapprochant du dernier jour, qui viendra sans aucun doute, alors devient pour moi plus vive et plus poignante la pensée du compte que je dois rendre à votre sujet au Seigneur mon Dieu. Car entre vous et nous il y a cette différence, que votre inquiétude sur le compte que vous avez à rendre se borne à vous-mêmes, tandis que pour nous, elle s’étend à vous et à nous. Mon fardeau est donc plus grand ; mais, bien porté, il me vaudra une gloire plus grande ; porté avec infidélité, une peine épouvantable. Qu’ai-je donc aujourd’hui de mieux à faire, sinon de vous signaler mon danger, afin que vous soyez ma joie ? Or, ce qui constitue un danger pour moi, ce serait de faire attention à vos louanges, sans examiner votre vie. Or, il le sait, celui qui a les yeux sur mes paroles, et même sur mes pensées, il sait que les louanges populaires sont moins un plaisir pour moi qu’un stimulant, et que ma vive inquiétude est de savoir comment vivent ceux qui me louent. Toute louange qui me viendrait de ceux qui vivent mal m’est en horreur, je l’abhorre, et c’est pour moi une douleur plutôt qu’un plaisir ; quant à celle qui me viendrait de ceux dont la vie est régulière, dire que je la repousse, c’est mentir, dire que je la recherche, c’est m’exposer à rechercher la vanité plutôt que la solidité. Que dire alors ? Sans la vouloir tout à fait, je ne la repousse point tout à fait. Je ne la désire point tout à fait, parce que je redoute un danger dans la louange des hommes ; je ne la repousse point tout à fait, pour ne pas exposer mes auditeurs à l’ingratitude. Or, quel est mon fardeau, vous l’avez entendu quand on lisait le prophète Ézéchiel. C’était peu qu’un jour semblable nous invitât à réfléchir à notre fardeau, voilà qu’on lit un passage qui nous saisit de crainte et nous fait réfléchir à ce que nous portons ; car si celui qui nous l’a imposé ne le porte avec nous, il nous faut succomber. Vous venez de l’entendre. « Lorsque j’aurai appelé l’épée sur une terre », dit le Prophète, « et que cette terre aura établi une sentinelle, pour voir ce glaive arriver puis le dénoncer et avertir le peuple ; si la sentinelle se tait à l’arrivée du glaive, et que le glaive, survenant sur le pécheur, lui donne la mort, le pécheur mourra sans a doute selon son iniquité, mais je redemanderai son sang à la sentinelle. Que si, au contraire, elle voit le glaive arriver, et a sonné de la trompette, et avertit le peuple, et que celui qui entend l’avertissement n’en prenne aucun souci, celui-ci mourra dans son iniquité, sans doute, mais la sentinelle aura sauvé sa vie. Toi donc, fils de l’homme, je t’ai établi sentinelle en Israël[1] ». Il expose ensuite ce qu’il entend par épée, ce qu’il entend par la mort, et ne nous laisse aucun moyen de négliger cette lecture sous prétexte d’obscurité. « Je t’ai établi sentinelle », me dit-il, « et si, quand je dis au pécheur : Tu mourras de mort, tu gardes le silence, et qu’il meure dans son péché, il meurt à cause de son péché sans doute, mais il est bien juste que je te redemande son sang à toi-même. Mais si toi-même tu dis à l’impie : Tu mourras de mort, et qu’il ne se tienne point sur ses gardes, il mourra dans son iniquité, tandis que tu auras sauvé ton âme ». Puis il ajoute ce qu’il veut qu’on dise à la maison d’Israël. « Tu diras donc aux enfants d’Israël : Quel est ce langage que vous tenez en vous-mêmes : Nos iniquités sont sur nous, nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? Voici ce que dit le Seigneur : Je ne veux point la mort de l’impie, mais je veux qu’il se détourne de sa voie perverse et qu’il vive ». Voilà ce qu’il veut que nous annoncions ; autrement il nous faudra, comme la sentinelle, rendre un compte pitoyable. L’annoncer, au contraire, c’est nous acquitter de notre tâche. Ce sera votre affaire ; pour nous, déjà nous serons en sécurité. Mais comment serions-

  1. Eze. 33, 2 et suiv