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grêle est donc à l’extérieur le juste jugement de Dieu contre cet homme qu’un coupable désir intérieur a porté à dérober. Oh ! si l’on pouvait découvrir le champ de son cœur, on verserait des larmes ; car on n’y trouverait rien pour la nourriture de l’esprit, bien que son vol ait fourni de quoi rassasier le ventre. La faim est plus grande chez l’homme intérieur, la faim plus grande, la plaie plus dangereuse, la mort plus déplorable, beaucoup de morts se promènent ici-bas, beaucoup d’affamés s’élèvent dans leurs vaines richesses. Enfin l’Écriture proclame que le serviteur de Dieu est riche intérieurement : « L’homme caché de votre cœur », nous dit-elle, « qui est riche devant Dieu ». Elle ne dit point, riche devant les hommes, mais devant Dieu, riche où est Dieu. Tiens-toi sur tes gardes, ô riche ; de quoi te sert ta richesse ? Où l’homme ne voit point, tu dérobes, et où Dieu voit, tu subis la grêle.
11. Huitième précepte : « Tu ne diras point le faux témoignage[1] ». Huitième plaie « La sauterelle, animal à la dent nuisible[2] ». Que veut le faux témoin, sinon nuire par ses morsures, anéantir par ses mensonges ? L’Apôtre, avertissant les fidèles de ne point chercher à se nuire par de fausses récriminations : « Si vous vous déchirez », dit-il, « et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez mutuellement[3] ».

12. Neuvième précepte : « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.[4] ». Neuvième plaie : « D’épaisses ténèbres[5] ». Il y a, en effet, une sorte d’adultère qui veut réprimer ce précepte et qui ne va même point jusqu’à convoiter la vertu d’une épouse étrangère. Mais tel est adultère, qui ne débauche point l’épouse de son prochain ; seulement la sienne ne lui suffit pas ; or, il y a d’épaisses ténèbres non-seulement à ne se point contenter de son épouse, mais encore à rechercher celle d’un autre. Il n’est rien, en effet, de plus douloureux pour un époux, et tel, qui le fait à un autre, ne le voudrait jamais souffrir. Un homme endurerait plutôt toute autre injure ; mais celle-ci, je ne sais si l’on trouverait un homme pour l’endurer. O épaisses ténèbres de ceux qui commettent ces crimes, conçoivent de tels désirs ! Ils sont vraiment aveuglés d’une terrible fougue, car c’est une fougue indomptée, de souiller la femme d’un autre homme.

13. Dixième précepte : « Tu ne convoiteras aucun bien de ton prochain, ni son bétail, ni son serviteur, ni sa servante, en un mot tu ne convoiteras rien de ton prochain[6] ». C’est contre un tel crime qu’est dirigée la dixième plaie : « La mort des premiers-nés[7] ». Or, à propos de cette plaie, quand je cherche quelque comparaison, je ne trouve rien ; un autre peut trouver mieux, surtout s’il cherche mieux, sinon que tout homme cherche à conserver son bien pour ses héritiers. Or, ici l’on condamne celui qui désire le bien de son prochain ; car le vol ne s’effectue qu’à la suite de la convoitise ; et nul ne dérobe le bien du prochain, qu’après avoir désiré ce bien d’un autre. Mais déjà il y a un précepte sur le vol, ce qui doit te faire comprendre que le vol par violence est défendu. Car l’Écriture ne saurait défendre le vol, et garder le silence sur la rapine, sinon pour te faire comprendre que si l’on est coupable de prendre à la dérobée, on est bien plus coupable de prendre avec violence. Il y a donc un précepte qui défend de prendre au prochain malgré lui, soit ouvertement, soit secrètement. Or, il n’est point permis de convoiter le bien d’autrui, ce que Dieu découvre dans notre cœur, même en recherchant une légitime succession. Ceux qui veulent en effet couvrir du manteau de la justice la possession du bien d’autrui, cherchent auprès des moribonds à se faire instituer héritiers. Que peut-on, en effet, voir de plus juste, que de posséder de droit commun tel bien qu’on nous a laissé en héritage ? Que fait cet homme chez toi ? On m’a tout abandonné ; j’ai acquis un héritage, j’en lis le testament. Rien ne paraît plus juste que ce cri de l’avarice. Et toi de répondre : Ta possession est juste ; de louer un homme qui possède selon le droit. Dieu condamne celui qui désire injustement. Vois qui tu es, pour désirer qu’un autre t’adopte comme héritier ; tu ne veux pas qu’il ait des héritiers. Or, parmi les héritiers, nul n’est plus cher que le premier-né ; et dès lors c’est dans tes premiers-nés que tu es châtié, toi qui, en convoitant le bien d’autrui, as recherché sous l’ombre du droit ce qui de droit ne te revenait

  1. Exo. 20, 16
  2. Id. 10, 13
  3. Gal. 5, 15
  4. Exo. 20, 19
  5. Id. 10, 22
  6. Exo. 20, 17
  7. Id. 12, 29