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QUATRE-VINGT-CINQUIÈME TRAITÉ

SUR CES PAROLES : « VOUS ÊTES MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE JE VOUS COMMANDE. JE NE VOUS APPELLE PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON MAÎTRE ». (Chap. 15, 14-15.)

LE SERVITEUR AMI.

Celui qui observe les commandements de Dieu par l’effet d’une crainte chaste, perd son titre de serviteur pour prendre celui d’ami, et il entre ainsi dans les secrets de son Maître, et il sait que son Maître est l’auteur de tout bien.


1. Après nous avoir rappelé l’amour qu’il nous a montré en mourant pour nous, et avoir dit : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis », Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ». Admirable condescendance ! Un serviteur n’est regardé comme fidèle que s’il exécute les ordres de son maître, et Notre-Seigneur a voulu que nous fussions ses amis, par cela même qui ne pouvait faire de nous que des serviteurs fidèles. Mais, comme je viens de le dire, c’est de sa part la preuve d’une grande bonté, de daigner appeler ses amis ceux qu’il connaît pour ses serviteurs. Vous ne devez pas l’ignorer, c’est pour des serviteurs une obligation rigoureuse de faire ce que le maître commande ; en un autre endroit, ce sont bien ses serviteurs qu’il reprend en ces termes : Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis [1] ? » Puisque vous m’appelez Seigneur, prouvez ce que vous dites en faisant ce que je commande. Et n’est-ce pas au serviteur obéissant qu’il doit lui-même adresser ces paroles « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle dans les petites choses, je t’établirai sur de plus grandes [2] ; entre dans la joie de ton Seigneur ? » Il peut donc être en même temps un serviteur et un ami, celui qui est un serviteur fidèle.
2. Mais faisons attention à ce qui suit. « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». Comment comprendre que le bon serviteur est en même temps serviteur et ami, puisque Notre-Seigneur dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » Il donne le nom d’ami, pour enlever celui de serviteur ; ces deux noms ne peuvent plus s’appliquer ensemble à la même personne ; mais l’un disparaissant, l’autre doit lui succéder. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quand nous aurons accompli les ordres du Seigneur, ne serons-nous plus ses serviteurs ? Ne serons-nous plus ses serviteurs, quand nous serons devenus des serviteurs fidèles ? Pourtant, qui est-ce qui peut contredire la Vérité même ? Ne nous dit-elle pas : « Je ne vous appelle plus serviteurs ? » Ne nous en donne-t-elle pas la raison : « Parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » Quand un serviteur se montre fidèle et éprouvé, son maître ne lui confie-t-il pas ses secrets ? Que signifient donc ces paroles : « Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ? » J’accorde qu’ « il ignore ce que fait son maître », mais ignore-t-il aussi ce que son maître commande ? Et s’il l’ignore, comment peut-il servir ? Comment peut-il s’appeler serviteur, celui qui ne sert pas ? Et cependant, voici ce que dit Notre-Seigneur « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ; je ne vous appelle plus serviteurs ». O chose admirable ! nous ne pouvons servir qu’à la condition d’exécuter les commandements du Seigneur ; comment donc, en accomplissant ses commandements, cesserons-nous d’être ses serviteurs ? Si je ne deviens son serviteur en accomplissant ses ordres, et si je n’accomplis ses ordres, je ne pourrai le servir ; donc, en le servant, je ne serai plus son serviteur.

  1. Lc. 6, 46
  2. Mt. 25, 21