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c’est sa mort qui nous délivre de la mort. Sa chair n’a pas vu la corruption [1] ; après avoir subi la corruption, la nôtre sera, à la fin des siècles, revêtue par lui de l’incorruptibilité. Il n’a pas eu besoin de nous pour nous sauver ; sans lui, nous ne pouvons rien faire. Il s’est donné à nous pour être la vigne, dont nous sommes les branches ; sans lui, nous ne pouvons posséder la vie. Enfin, bien que des frères meurent pour leurs frères, cependant le sang d’aucun martyr n’a été répandu pour la rémission des péchés de ses frères, et c’est ce que Jésus-Christ a fait pour nous. En tant qu’ils ont répandu leur sang pour leurs frères, les martyrs leur ont donc préparé les mets qu’ils avaient goûtés à la table du Seigneur. Mais dans tout ce que j’ai dit, quoiqu’il m’ait été impossible de tout dire, le martyr de Jésus-Christ est bien éloigné de Jésus-Christ. Si quelqu’un osait comparer, je ne dis pas sa puissance à la puissance de Jésus-Christ, mais son innocence à l’innocence du Sauveur ; s’il pensait, non pas qu’il peut guérir son prochain, mais qu’il n’a lui-même aucun péché qui lui soit propre ; celui-là serait plus avide qu’il ne convient à son salut ; ce serait trop pour lui, il ne pourrait tout prendre. Un bon avis lui est donné par cette parole des Proverbes, qui suit immédiatement celle que nous venons d’expliquer : « Si tu es trop avide, garde-toi de convoiter ces viandes ; il vaut bien mieux pour toi n’y pas toucher du tout que d’en prendre plus qu’il ne faut ; car », ajoute le texte sacré, « cela entretient une vie trompeuse », c’est-à-dire l’hypocrisie. Celui, en effet, qui se dit sans péché, ne peut montrer qu’il est juste, il ne peut que simuler la justice ; c’est pourquoi il est dit : « Cela entretient une vie trompeuse ». Un seul a pu avoir un corps d’homme et n’avoir pas de péché. Et c’est avec raison que ce qui suit dans ce même livre nous est recommandé ; et que, pour faire toucher du doigt par un mot, par un seul proverbe la faiblesse humaine, il est dit : « Ne va pas, si tu es pauvre, t’élever contre le riche ». Il est riche, celui qui, ne devant rien ni par la faute de son origine ni par sa propre faute, est juste et justifie les autres. Ne t’élève donc pas contre lui, toi qui es si pauvre. Que tous les jours, comme un mendiant, tu lui demandes dans ta prière la rémission de tes péchés. Mais, continue le livre des Proverbes, défie-toi de toi-même. Qu’est-ce à dire ? d’une présomption trompeuse. Car si Jésus-Christ n’a jamais été coupable, c’est qu’il n’est pas seulement homme, mais qu’il est aussi Dieu. « Si tu diriges ton œil sur lui, il ne se montrera point ». « Si tu diriges ton œil vers lui », c’est-à-dire ton œil humain avec lequel tu regardes les choses humaines, « il ne se montrera pas » ; car il ne peut être vu par des yeux tels que les tiens. « Car il se préparera des ailes comme celles « de l’aigle, et il ira dans les demeures de son chef [2] ». C’est de là qu’il est venu vers nous, mais il ne nous a pas trouvés tels qu’il était lui-même. « Aimons-nous donc les uns les autres, comme Jésus-Christ lui-même nous a aimés, puisqu’il s’est donné lui-même pour nous [3]. Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis ». Et ainsi imitons-le par une pieuse obéissance, et n’ayons pas l’audacieuse présomption de nous comparer à lui.

  1. Act. 2, 31
  2. Prov. 23, 3-5
  3. Gal. 2, 20