Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/45

Cette page n’a pas encore été corrigée

QUATRE-VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES : « PERSONNE NE PEUT TÉMOIGNER UN PLUS GRAND AMOUR QU’EN DONNANT « SA VIE POUR SES AMIS ». (Chap. 15,13.)

LE SACRIFICE DE LA VIE.

\v 13 Le Sauveur nous a donné l’exemple, il est mort pour nous : dès lors que nous vivons de lui, nous devons donc l’imiter et faire pour nos frères le sacrifice de notre vie, avec cette différence, néanmoins, que Jésus-Christ étant innocent, nous a sauvés du péché et de la mort éternelle, tandis que, par notre mort, nous ne pouvons accorder â personne le pardon de ses fautes.


1. Le Seigneur, mes bien chers frères, nous a fait connaître la perfection de l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres, en disant : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis ». Comme il avait dit auparavant : « C’est là mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés » ; et qu’il ajoute maintenant ce que vous venez d’entendre : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis », il s’ensuit, par une conséquence nécessaire, ce que notre Évangéliste Jean dit dans une de ses épîtres : « Comme Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères [1] » ; nous aimant ainsi les uns les autres, comme il nous a aimés, car il a donné sa vie pour nous. C’est ce que signifie ce que nous lisons aux proverbes de Salomon : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce qui est en ta présence, et, en y portant la main, sache qu’il te faudra préparer les mêmes mets [2] ». Cette table d’un roi n’est-elle pas la table où nous sont distribués le corps et le sang de Celui qui a donné sa vie pour nous ? Et que signifie : être assis à cette table, sinon s’en approcher avec humilité ? Et que signifie encore : examiner et comprendre ce qui y est servi, sinon avoir des pensées dignes d’une si grande grâce ? Et que signifie : ne porter la main à ces mets qu’en prenant la résolution d’en préparer de semblables, sinon ce que j’ai déjà dit comme Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères ? C’est ce que nous dit aussi l’apôtre Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin qu’e nous suivions ses traces [3] ». Voilà ce que c’est que préparer des mets semblables à ceux que nous avons reçus. C’est ce que les martyrs ont fait avec une ardente charité ; et si ce n’est pas inutilement que nous célébrons leur mémoire, si dans ce festin où ils se sont rassasiés, nous approchons, nous aussi, de la table du Seigneur, il faut qu’à leur exemple nous préparions des mets pareils à ceux qui nous sont servis. Aussi, à cette même table, nous célébrons leur mémoire d’une manière différente de celle dont nous célébrons la mémoire des autres fidèles qui reposent en paix. Nous ne prions pas pour eux, bien loin de là ; nous leur demandons de prier pour nous, afin que nous marchions sur leurs traces ; car ils ont rempli la mesure de cet amour, dont Notre-Seigneur a dit qu’il ne pouvait en exister de plus grand ; ils ont donné pour leurs frères ce qu’ils avaient reçu à la table du Seigneur.
2. Mais il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que nous puissions devenir semblables à Notre-Seigneur Jésus-Christ, en donnant pour lui notre sang dans le martyre. « Il avait, lui, le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre[4] ». Mais pour nous, nous ne vivons pas autant que nous voulons, et nous mourons, même sans le vouloir. Jésus-Christ, en mourant, a tué la mort elle-même ;

  1. Jn. 3, 18
  2. Prov. 23, 1, 2
  3. 1 Pi. 2, 21
  4. Jn. 10, 18