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dans vos murmures l’indice de votre cœur, vous les connaissez donc ; et néanmoins, je les désignerai pour ceux qui viennent plus rarement à l’église. Il l’a dit, le Seigneur, il l’a dit, le Maître le plus véridique, il l’a dit, le Prince des martyrs : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes[1] ». C’est donc en Dieu une victoire pour tes dents d’avoir enfanté de tels jumeaux. Et dès lors c’est à cause de ces dents qu’il t’est dit, ô Église, dans la personne du bienheureux Pierre : « Lève-toi, tue et mange[2] ». « Lève-toi n. Ainsi fut-il dit à Pierre, quand une grande nappe descendit du ciel, renfermant des animaux de toute espèce, que l’on offrit à Pierre qui avait faim, c’est-à-dire à l’église alors affamée. « Lève-toi », pourquoi te laisser avoir faim ? « Lève-toi », ton repas est prêt. Tu as des dents, « tue et mange ». Tue-les dans ce qu’ils sont, pour les faire ce que tu es. Tue-les dans ce qu’ils sont, et change-les en ce que tu es. Tu as bien compris quelles sont les dents, tu as bien tué, tu as bien mangé. Ces juges que tu n’as point redoutés, tu les as attirés à toi ; ces puissances du siècle que tu n’as point redoutées, tu les as changées en toi ; ces bourreaux que tu as méprisés, tu en as fait des fidèles. Alors s’est accomplie cette promesse faite à ton Seigneur « Tous les rois de la terre l’adoreront, toutes les nations le serviront[3] ».

4. Voilà ce que ne croyaient point les persécuteurs, quand ils sévissaient contre toi. Combien de ces mêmes persécuteurs qui ont vu le bienheureux Cyprien répandre son sang, fléchir les genoux, offrir sa tête au bourreau, qui l’ont vu ici même, qui ont joui de ce spectacle, qui ont tressailli à cette vue, qui ont ici même insulté à son agonie, combien d’entre eux, je n’en doute nullement, ont embrassé la foi ! N’en doutons point, mais croyons-le sans hésitation. Les Juifs qui ont mis à mort le Christ, qui branlaient la tête en lui insultant à la croix, qui ont à son sujet chanté leur joie comme ils l’ont voulu, ont ensuite cru en ce même Seigneur qu’ils avaient crucifié. Pouvait-elle donc être sans effet, cette parole du médecin suprême suspendu à la croix, et faisant de son sang un remède pour guérir leur folie ? Non, elle ne pouvait être sans effet, elle ne pouvait être vaine, cette parole : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[4] ». Elle ne fut donc point sans effet. Il y avait là une foule de peuple sur lequel tomba cette parole de la bouche de la Vérité. Plus tard, en effet, quand l’Esprit-Saint descendit miraculeusement du ciel, quand les Apôtres parlaient le langage de toutes les nations, saisis de frayeur à la vue d’un miracle si soudain, et, touchés subitement de componction, ils se tournèrent vers celui qu’ils avaient mis à mort et burent avec foi le sang qu’ils avaient répandu avec fureur. Or, à propos du bienheureux Cyprien, du saint martyr du Christ, nous ne saurions douter que plusieurs de ceux qui se donnèrent le spectacle impie de sa mort, crurent dans la suite en son divin Maître, et peut-être, comme lui, répandirent leur sang pour le nom du Christ. Du reste, accordons qu’il n’y a rien de certain à cet égard. Acceptons l’incertitude au sujet de ceux qui étaient ici à la mort de Cyprien, qui virent frapper ici le saint évêque ; doutons qu’ils aient embrassé la foi ; du moins tous ceux-ci ou presque tous ceux dont j’entends les jubilations, sont les fils de ceux qui l’insultaient.

  1. Mat. 22, 37-10
  2. Act. 10, 13
  3. Psa. 71, 11
  4. Exo. 13, 31, et Nom. 14, 14