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la porte de la crainte nous tente par les menaces. Il est, toutefois, quelque chose à désirer, qui te détournera de ces désirs, et quelque chose à craindre, qui te détournera de ces sortes de craintes. Change tes désirs au lieu de les expulser ; sans éteindre la crainte, donne-lui un autre objet. Que désirais-tu ? pourquoi céder au monde qui te flattait ? Que désirais-tu ? la volupté de la chair, la concupiscence des yeux, l’ambition du siècle. Je ne sais lequel de ces trois chefs est l’enfer de la chair. Mais écoute l’apôtre saint Jean, qui avait reposé sur le cœur du Seigneur et qui nous donnait, dans l’Évangile, la surabondance de ce qu’il avait puisé dans ce festin du Christ ; écoute ses paroles : « N’aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde ; si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui ; car tout ce qui est dans le monde, est ou convoitise de la chair, ou convoitise des yeux, ou ambition du siècle ». Ce qui est donc appelé monde, c’est le ciel et la terre. Ce n’est point blâmer le monde que dire : « N’aimez point le monde ». Car blâmer le monde, ce serait blâmer le Créateur du monde. Il faut donc entendre cette unique dénomination dans deux sens bien différents. Il est dit, à propos de Notre-Seigneur Jésus – Christ : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu. Le monde a été fait par lui[1]. Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[2]. Le monde a été fait par lui. J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours[3]. Mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Tel est le monde qui a été fait par Dieu : « Et le monde ne l’a point connu ». O toi qui aimes le monde, qui aimes l’œuvre en méprisant l’ouvrier, arrière ton amour ! Brise tes liens avec la créature, pour t’enchaîner au Créateur. Change cet amour et cette crainte. Il n’y a que l’amour bon ou mauvais pour faire les mœurs bonnes ou mauvaises. Voilà un grand homme, dira celui-ci, un homme vraiment bon, vraiment grand. Pourquoi ? je vous prie. Parce qu’il est très-savant. Je cherche ce qu’il aime et non ce qu’il fait. « Ne cherchez donc point le monde, ni ce qu’il y a dans le monde ; si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde » dans ceux qui aiment le monde assurément ; oui, « tout ce qu’il y a chez ceux qui sont épris du monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle[4] ». Or, dans la convoitise de la chair, il y a volupté ; dans la convoitise des yeux, il y a curiosité ; dans l’ambition du siècle, il y a orgueil. Triompher en ces trois points, c’est n’avoir plus rien à vaincre en convoitise. Les rameaux sont nombreux, mais il y a trois racines. Combien est mauvais et combien cause de malheurs l’amour de la volupté ! Delà viennent les adultères, les fornications ; de là toute luxure ; de là toute ivresse. Tout ce qu’il y a dans les sens de coupables attraits, et dont le charme empoisonné pénètre notre âme, soumet l’esprit à la chair, le maître à l’esclave. Et quelle action droite pourra raire un homme qui est en lui-même tortueux ?

3. Combien de maux engendre cette honteuse curiosité, cette vaine convoitise des yeux, cette avidité de spectacles futiles, cette folie des courses de chars, quand il n’y a nul prix à espérer après ces combats ! C’est afin de remporter un prix, que les cochers entrent en lice ; c’est afin de remporter nu prix, que la populace plaide pour les cochers[5]. Mais ici c’est le cocher qui plaît, le chasseur qui plaît, l’histrion qui plaît. Or, la honte saurait-elle plaire à un cœur honnête ? Change aussi ton désir des spectacles. Voilà que l’Église met sous tes yeux des spectacles plus glorieux et plus dignes de respect. Tout à l’heure, on nous lisait le martyre de saint Cyprien. Nous l’entendions de l’oreille, et notre âme le voyait ; nous regardions l’athlète combattre, nous avions des craintes pour ses dangers ; mais nous espérions dans le secours de Dieu. Veux-tu comprendre à l’instant la différence entre nos spectacles et ceux du théâtre ? Quant à nous, pour peu que nous ayons de sagesse, nous désirons imiter les martyrs que nous regardons. Honnête spectateur ! Tu es fou si tu oses imiter celui que tu vois au théâtre. Mais voilà que je regarde Cyprien, et j’aime Cyprien. Si cela t’irrite, maudis-moi, et dis-moi : Sois comme lui ! Je le regarde, j’y trouve de la joie, et autant que je le puis, je l’embrasse en esprit.

  1. Jn. 1, 10
  2. Psa. 123, 8
  3. Id. 120, 1-2
  4. 1Jn. 2, 15-16
  5. On trouve plusieurs traits, au sujet de ces contentions, dans les épigrammes de Martial et dans les historiens de saint Augustin.