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de même que, pour nourrir la vertu, la sagesse, l’aliment le meilleur sera ce pain vivant, toujours efficace ; et qui ne manque jamais. Celui-ci est donc le meilleur, l’autre est nécessaire. Et dès lors, quand cessera cette nécessité qui vient de la faim et du besoin de soutenir ce corps mortel, cette nourriture ne sera plus nécessaire. Que dit en effet l’Apôtre ? « Les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments, et un jour Dieu détruira l’un et les autres[1] ». Quand aura lieu cette destruction ? Quand ce corps animal sera devenu spirituel par la résurrection. C’est alors qu’il n’y aura aucune indigence, et que nulle œuvre ne sera nécessaire. Toutes ces œuvres, en effet, mes frères, que l’on appelle bonnes œuvres, toutes ces œuvres que l’on nous engage à faire chaque jour, sont des œuvres de nécessité. Quelle œuvre est meilleure, est plus éclatante, est plus louable pour un chrétien, que de rompre son pain pour celui qui a faim ? que d’introduire sous son toit le pauvre sans asile ? que de revêtir l’homme que l’on voit nu ? que d’ensevelir le mort que l’on rencontre ? que de réconcilier ceux qui sont en discorde ? que de voir un infirme et de le visiter, de le soulager ? Toutes ces œuvres sont très-louables, sans aucun doute. Et cependant, considérez et voyez qu’elles viennent de la nécessité. C’est en effet parce que tu vois un pauvre que tu donnes du pain. À qui en donnerais-tu, si nul n’avait faim ? Ôte chez autrui cette nécessité de la misère, et il n’est plus besoin de ta miséricorde. Et toutefois, au moyen de ces œuvres qu’engendre la nécessité, nous parvenons à cette vie qui sera sans nécessité ; comme on arrive dans sa patrie au moyen d’un navire. Pour l’homme qui doit toujours demeurer dans sa patrie, sans voyager jamais, il n’est pas besoin de navire ; mais ce navire qui n’est plus nécessaire dans la patrie, y conduit néanmoins. Quand nous y serons parvenus, il n’y aura plus de ces œuvres, et toutefois, si nous ne les accomplissons ici-bas, nous ne saurions y arriver. Soyez donc empressés quand il s’agit de ces bonnes œuvres de nécessité, afin d’être bienheureux dans la jouissance de cette éternité, où il n’y aura point nécessité de mourir, parce que la mort, qui est la mère de toutes les nécessités, y meurt à son tour. « Il faut en effet que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruption, que cette chair mortelle soit revêtue d’immortalité ». Et quand on dira à la mort : « O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon ?[2] » on dira aussi à la mort absorbée dans sa victoire et vaincue à son tour. « La mort sera le dernier ennemi détruite[3] ».

8. Maintenant, c’est par toutes ces œuvres de nécessité que l’on combat contre la mort. Car tout besoin conduit à la mort, tout soulagement nous rappelle de la mort, et telles sont les vicissitudes du corps, que c’est une mort qui chasse une autre mort. Quelque régime que l’on s’impose, c’est un commencement de mort, dès qu’il ne peut durer longtemps ; voyez cette vie, voyez si le régime que l’on s’impose peut durer toujours ; pour peu qu’il continue, il mène à la mort ; il est donc un commencement de mort, et pourtant, à moins de se l’imposer, on – ne chasse pas une autre mort. Ainsi, cet homme ne mange pas. S’il mange, s’il digère, il reprend des forces. Quand il ne mange point, il s’impose la diète, afin de repousser la mort qu’amèneraient ses excès, et qu’il ne saurait éloigner de lui sans se mettre à la diète et au jeûne. Mais qu’il continue ce jeûne, qu’il a dit s’imposer, pour repousser la mort qu’amenaient les excès, il devra craindre la mort par la faim. De même donc qu’il a choisi la diète contre la mort par les excès, ainsi il doit prendre de la nourriture contre la mort par la faim. L’un ou l’autre de ces régimes que tu t’imposeras, sera mortel, si tu continues. La marche te fatigue, et cette marche devenant continuelle te causera une fatigue jusqu’à la défaillance et jusqu’à la mort. Pour éviter de succomber en marchant, tu t’assieds pour te reposer. Mais demeure toujours assis, et tu en mourras. Te voilà sous le poids d’un lourd sommeil ; il te faut t’éveiller pour ne point mourir. La veille te fera mourir, si tu ne te livres au sommeil. Donne-moi un moyen par lequel tu voulais repousser un mal qui t’opprimait, et selon lequel tu puisses vivre en toute sécurité. Quel que soit ce moyen, il est lui-même à craindre. Il nous faut donc combattre avec la mort, dans tous nos changements, dans toutes nos alternatives de défaillance et de secours. Mais quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruption, et cette chair mortelle revêtue

  1. 1Co. 6, 13
  2. 1Co. 15, 53-55
  3. Id. 26