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tué les Prophètes », puisque vous les appelez vos pères. Or, à votre tour, « vous comblerez la mesure de vos pères ».

4. Considérons maintenant quels sont les fils des victimes et quels sont les fils des bourreaux. Vous en voyez beaucoup accourir aux fêtes des martyrs, bénir leurs coupes aux fêtes des martyrs, revenir rassasiés des fêtes des martyrs ; et néanmoins, si vous les voyez de tout près, vous les trouvez parmi les persécuteurs des martyrs. C’est d’eux, en effet, que viennent le tumulte, les séditions, ces danses toujours lubriques, en abomination à Dieu, et maintenant qu’ils ne sauraient persécuter de leurs pierres ces saints couronnés, ils le font de leurs coupes à boire. Qui étaient-ils, et de qui étaient-ils fils, ces hommes dont on a interdit les danses, tout récemment, presque hier, à la fête et dans le sanctuaire du saint martyr Cyprien[1] ? C’est là qu’ils dansaient, là qu’ils s’ébattaient dans la joie, là que leurs vœux impatients attendaient cette solennité pour se réjouir ; c’est à cette fête qu’ils voulaient toujours venir. Parmi lesquels devons-nous les compter ? Parmi les persécuteurs des martyrs, ou parmi les fils des martyrs ? On l’a vu quand la défense les a jetés dans la sédition. Aux fils la louange, aux persécuteurs les danses. Aux fils les saintes hymnes, à ceux-là les festins. Peu importe qu’ils paraissent honorer leur mémoire. Avec leurs honneurs ils ressemblent à ceux qui disaient : « Si nous avions été dans ces temps, « nous n’aurions pas été d’accord avec nos pères pour tuer les martyrs, ou tuer les Prophètes ». Mettez votre foi d’accord avec celle des martyrs, et nous croirons que vous n’eussiez pas été d’accord avec les bourreaux des martyrs. D’où vient aux martyrs leur couronne ? C’est, j’imagine, de ce qu’ils ont marché dans la voie de Dieu, de ce qu’ils ont souffert, de ce qu’ils ont aimé leurs ennemis et prié pour eux. Telle est la couronne des martyrs, le mérite des martyrs. Aimer les martyrs, les imiter, les chanter, c’est là être fils des martyrs. Mener une vie contraire, c’est aussi choisir un côté contraire[2].

5. Dès lors, mes frères bien-aimés, puisque jamais nous ne sommes sans persécution, comme nous l’avons dit, et que le diable, ou nous tend des embûches, ou nous fait violence, nous devons être toujours prêts, ayant le cœur fixé en Dieu, et autant qu’il nous est possible, au milieu de ces embarras, de ces tribulations, de ces épreuves, demander la force au Seigneur, puisque de nous-mêmes nous sommes si faibles, nous ne pouvons rien. Que dire de nous-mêmes ? Vous venez d’entendre le texte de saint Paul : « De même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, notre consolation abonde aussi en Jésus-Christ[3] ». C’est ainsi qu’un psaume dit encore : « Dans la multitude des douleurs de mon âme, ô mon Dieu, vos consolations ont réjoui mon cœur ». De même que nous lisons dans le Psalmiste : « A mesure que de nombreuses douleurs accablaient mon âme, vos consolations réjouissaient mon cœur[4] » ; ainsi nous lisons dans l’Apôtre : « A mesure que les douleurs du Christ abondent en nous, ainsi notre consolation abonde par le Christ ». Nous succomberions bientôt sous la persécution, si la consolation nous manquait. Voyez encore qu’ils n’avaient point en eux-mêmes ni la force de souffrir, ni cette faculté de vivre quelque temps à cause du ministère qu’ils devaient exercer. « Je vous fais connaître, mes frères, l’affliction qui nous est survenue en Asie, parce qu’elle a été bien au-dessus de nos forces ». Cette affliction qui dépasse les forces humaines, dépasse-t-elle aussi les secours divins ? « Nous avons souffert », dit-il, « par-dessus tout mode, par-dessus nos forces ». Combien au-dessus des forces ? Voyez que l’Apôtre parle ici des forces de l’âme. « Au point que la vie nous était à dégoût[5] ». Quelles ne devaient pas être ces douleurs, pour inspirer le dégoût de la vie à cet Apôtre que la charité excitait à vivre ? Quelle n’était point cette charité qui le forçait à vivre, quand il dit ailleurs de cette charité : « Mais à cause de vous, il est avantageux que je vive[6] ». Ainsi donc, telle était la persécution, telle était la tribulation, que la vie lui était à dégoût. Voilà que la crainte et la terreur l’environnent, que de toutes parts il est dans les ténèbres, comme vous l’avez entendu dans le psaume que l’on vient de chanter. Ce sont en effet les paroles du corps du Christ, des membres du Christ. Veux-tu y retrouver tes paroles ? sois membre du

  1. Voyez le sermon CCCXI, pour la fête de saint Cyprien, 101 dev. tom. 7, n.5, p.527,528, où le saint docteur dit que l’on a supprimé avec le secours de l’évêque, ce qu’il appelle une peste.
  2. C’est-à-dire se mettre à la gauche.
  3. 2Co. 1, 5
  4. Psa. 93, 19
  5. 1Co. 1, 8
  6. Phi. 1, 21