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qui se déclare vous rendra prudent en toutes choses, tandis qu’un faux ami se couvre des apparences de la charité pour tromper en secret votre crédulité. Ne craignez pas l’iniquité d’un ennemi dont vous voyez la malice, mais mettez-vous en garde contre un faux ami. Un faux ami vous nuit d’autant plus qu’il vous prodigue davantage les caresses de l’amitié. Un ennemi se dévoile dans ses paroles ; un faux ami ne se répand en témoignages d’affection que pour mieux déguiser sa cruauté. Ses trames ne peuvent être connues que de Dieu qui seul connaît les cœurs ; l’homme croit voir très-souvent ce qu’il ne voit pas, tandis que Dieu découvre parfaitement ce qui pour nous est invisible. Enfin, pour mieux assurer l’accomplissement de ses coupables projets, l’homme prend soin de dire le contraire de ce qu’il pense.
2. Gardez-vous, mon ami, gardez-vous, mon frère, d’user de paroles flatteuses à l’adresse du prochain, quand vous êtes en sa présence, et de déchirer sa réputation avec une malice de vipère, lorsque vous lui aurez tourné le dos. Tremblez devant l’application qui pourrait vous être faite de ces paroles du Psalmiste : « Ils ont des lèvres rusées dans le cœur, et c’est par le cœur qu’ils ont mal parlé[1] ». Le démon ne peut qu’être satisfait d’une telle conduite, puisque le faux ami affiche la charité dans ses paroles, tandis que son cœur est rempli de venin. La bouche fait retentir des accents de paix, et le cœur distille secrètement la ruse. C’est de ces hommes que le Psalmiste a dit : « Ils parlent de la paix « avec leur prochain, mais le mal est dans leur cœur[2] ». Le faux ami crie la paix, et il frappe ; il caresse et il tue, parce qu’il nourrit la malice dans son cœur. Je crains le nuage qui couvre votre front, parce que je ne connais pas les pensées que vous formez dans votre cœur ; vous caressez et vous frappez ; vous êtes obséquieux et homicide ; votre langage respire la douceur, mais recouvre le poison. Faux ami, je crains vos flatteries, je crains votre conversation, car vous caressez par les lèvres et vous conspirez par le cœur. Votre langage est très-beau, j’en juge par mes oreilles ; mais Dieu connaît le mal que vous formez dans votre cœur ; car Dieu « sonde les reins et les cœurs[3] ; l’homme voit sur le visage, mais Dieu voit dans les cœurs[4] ».
3. C’est ainsi que Judas vendit Jésus-Christ en lui prodiguant ses saluts et le trahit par un baiser. Écoutez le signal que ce traître avait donné : a Celui que j’embrasserai, c’est Jésus, « emparez-vous de lui[5] ». Sans doute la victoire suprême est restée au Dieu immortel, Jésus-Christ est ressuscité glorieux d’entre les morts ; cependant le traître a pu réaliser les coupables projets qu’il avait formés, car il était impossible que, tout impuissant qu’il fût, son dessein ne se révélât dans la force armée. Dans l’exécution de son crime, il ne trouva aucun obstacle, parce que le démon, dont il était le fils, lui prêta son secours. Au milieu d’un festin il nourrit la pensée de vendre son maître ; pour le pain qu’il reçut il prépara le fer, et à l’amour du Sauveur il répondit par la trahison. Jésus-Christ plein de bonté lui prodigua tous les biens, et Judas plein de méchanceté reçut ces biens d’une manière indigne ; il prononça lui-même son propre jugement et sa condamnation par l’empressement cruel qu’il mit à trahir son Maître et son Dieu. Toutes ses machinations étaient parfaitement connues du Sauveur ; de là cette question qu’il lui adressa : « Mon ami, dans quel but êtes-vous venu ?[6] » Cette parole mit le comble à la perversité de Judas. Jésus l’appelle encore son ami, et le traître ose livrer son Seigneur et son Maître. Se peut-il imaginer un crime plus horrible ? Quand on porte le nom d’ami, oser commettre l’homicide avec un tel raffinement de cruauté et de barbarie ! De là ces paroles de Salomon : « Il est un ami qui se tourne vers l’inimitié[7] ». Judas, en convive cruel, prit le pain et vomit le glaive, selon cette parole du Psalmiste : « L’homme de la paix, en qui j’avais mis mon espérance et qui mangeait avec moi, a redoublé contre moi la persécution[8] ». Il était avec les autres disciples, mais lui seul pensait à trahir son Maître ; de là cette parole du Sauveur : « Celui à qui je donnerai le pain trempé, c’est lui qui me livrera[9] ». Il prend part au festin pour dresser ses embûches ; ce qui devait lui procurer la joie devient peur lui l’occasion d’une guerre atroce. Que dire de ce baiser hypocrite qu’il offre à son Maître ? N’est-il pas écrit : « Les blessures faites par un ennemi sont préférables aux faux baisers d’un ami ?[10] » Il embrasse, et c’est à lui qu’il est dit : « Mon

  1. Ps. 11, 3
  2. Id. 27, 3
  3. Jer. 17, 10
  4. 1 Sa. 16, 7
  5. Mt. 26, 48
  6. Id. 50
  7. Sir. 6, 8
  8. Ps. 11, 10
  9. Jn. 12, 26
  10. Prov. 27, 6