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SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS.

ANALYSE. —1. La mort des saints martyrs, comme celle de Jésus-Christ, est précieuse en raison de leurs souffrances. —2. Tout doit être accepté pour Jésus-Christ, en vue dès biens futurs. —3. Conclusion.


1. Nous chanterons avec amour le suave refrain du psaume spirituel ; nous célébrerons en chœur la mort des saints ; nous emprunterons au Prophète, au chantre du Saint-Esprit, ses accents inspirés, et y joignant notre voix, nous dirons : « La mort des saints est précieuse devant Dieu[1] ». Que le démon par lui-même ou par ses complices suscite contre les saints de Dieu des supplices d’une cruauté inouïe, qu’il les frappe à coups de fouets, qu’il les déchire avec des ongles de fer, qu’il les broie sur le chevalet, qu’il les brûle tout vivants, qu’il s’acharne sur leurs membres carbonisés, qu’il élève des croix, qu’il plante des poteaux, qu’il appelle les bêtes féroces, qu’il construise des précipices ; tout cela est vain, car ceux qui sont embrasés du désir des biens célestes, ceux qui attendent la récompense promise dans l’éternité, se montrent plein de mépris pour les choses présentes ; la vie de la terre n’inspire que dégoût à ceux que possède l’amour de la vie éternelle. Celui qui porte sa croix et suit Jésus-Christ ne peut aimer le monde ; car ce monde est le foyer de tous les vices. De là cette parole de Jésus-Christ dans l’Évangile : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive[2] ». « Qu’il porte sa croix », comme si Jésus-Christ eût dit : Qu’il porte ma croix, car celui qui portera ma croix la fera sienne. Celui donc qui aura porté la croix du Sauveur, aura part également à sa récompense. Pour des âmes généreuses, la mort est comme l’abrégé de tous ces biens.
2. Viennent ensuite les persécutions extérieures, et la couronne du martyr sera complète quand arrivera le jour de la récompense. « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même ». O précieuse jalousie de Dieu ! Selon cette parole : Notre Dieu est jaloux ; il veut que vous l’aimiez jusqu’à commencer à vous haïr : aimez-moi, dit-il, et ne vous aimez pas vous-même ; renoncez-vous à vous-même et conservez-vous pour moi ; soyez mien, ne soyez pas vôtre ; que votre vie soit suspendue à ma croix, parce que ma croix conserve votre vie. Je ne veux pas que vous vous aimiez ; aimez-moi, car si vous m’aimez, vous vous aimerez ; tandis que vous aimer sans moi, ce serait vous haïr. Aimez-vous cette vie ? Aimez plutôt celui qui vous a donné la vie elle-même. Aimez-vous votre corps ? Aimez plutôt votre Créateur qui a formé votre corps. Pourquoi aimeriez-vous ce qui doit périr ? Aimez ce qui est éternel. L’amour des choses présentes est un amour périssable ; l’amour des choses futures est un amour éternel ; l’amour des choses présentes finit avec le temps présent, tandis que c’est par la mort elle-même que nous parvenons à la récompense de l’immortalité. C’est ainsi que les saints Prophètes en aimant le Seigneur ont haï le monde. C’est ainsi que ces trois enfants invincibles ont méprisé leur propre vie et ont triomphé de la flamme de la fournaise. C’est ainsi que Daniel, par l’empire de sa sainteté, a vaincu les bêtes féroces. Le vieillard Éléazar, malgré son grand âge, a pu montrer un courage héroïque, parce que dans sa jeunesse il avait foulé aux pieds le monde. La bienheureuse mère des Machabées, souffrant dans sa propre personne, après avoir souffert dans la personne de chacun de ses sept enfants, a surmonté son amour et son sexe, et a sacrifié les impulsions les plus naturelles de son cœur. Les Apôtres nous ont enseigné et ont prouvé par leur propre conduite qu’ils préféraient mourir pour Jésus-Christ plutôt que de vivre pour la terre ; leurs enseignements et leurs

  1. Ps. 115, 15
  2. Mt. 16, 24