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monde, et ils retrouvent dans ses flancs la liberté et la vie. Tel est, en effet, le sens du mot vivifier ; on ne vivifie que ce qui était en vie peu de temps auparavant. À tous ceux donc qui se sentaient meurtris par les tourbillons du monde et étouffés dans les flots du siècle, Pierre est appelé à rendre la vie ; et s’il s’étonnait de la multitude de poissons qu’il venait de prendre, il s’étonnera bien plus encore de voir des multitudes d’hommes portés sur le vaisseau de l’Église.

2. Toute cette lecture que nous venons de faire doit donc recevoir une interprétation prophétique. Un peu plus haut nous voyons que le Sauveur, toujours assis dans la barque de Pierre, dit à celui-ci : « Dirigez vers la haute mer et jetez vos filets pour pêcher » ; le Sauveur lui apprend moins à jeter ses instruments en pleine mer, qu’à jeter au loin les paroles de la prédication. Saint Paul a saisi toute l’étendue de cette parole, lorsqu’il s’écrie : « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu[1] ! » et le reste. Il ne s’agit donc plus d’envelopper des poissons dans un filet, mais de rassembler les hommes sous la bannière de la foi. Ce que fait un filet dans les flots, la foi l’opère sur la terre. Les poissons enveloppés dans un filet ne peuvent plus errer en liberté ; de même la foi protège contre toute erreur l’intelligence de ceux qui croient ; le filet conduit à la barque les poissons saisis dans ses plis ; de même la foi conduit au repos ceux qui se laissent guider par sa lumière. Afin de nous faire mieux comprendre que le Seigneur parlait de la pêche spirituelle, Pierre s’écria : « Maître, nous avons fatigué toute la nuit sans rien prendre, mais sur votre parole je jetterai le filet[2] » ; comme s’il eût dit : Puisque la pêche que nous avons continuée toute la nuit est restée pour nous sans résultat, je pêcherai désormais, non plus avec un instrument, mais avec la grâce ; non plus avec des moyens humains, mais avec tout le zèle de la dévotion. « Sur votre parole, je jetterai le filet ». Nous lisons dans l’Évangile que Notre-Seigneur est le Verbe incarné : « Au commencement était le Verbe[3] », et le reste. Quand donc, se confiant dans la parole, Pierre jette les filets, cela nous indique que c’est en Jésus-Christ qu’il pêche ; pour se conformer aux ordres du Maître, il déroule ses enseignements et sa doctrine, mais toujours c’est au nom de Jésus-Christ qu’il parle, c’est son Évangile qu’il expose ; car c’est à l’Évangile seul qu’il appartient de sauver les âmes. « Nous avons fatigué toute la nuit sans rien prendre ». Pierre avait réellement travaillé toute la nuit, car en dehors de Jésus-Christ il était plongé dans des ténèbres qui ne lui permettaient pas de voir ce qu’il prenait. Mais dès que la lumière du Sauveur a brillé, les ténèbres ont disparu et Pierre, éclairé par la foi, put distinguer ceux qu’auparavant il ne voyait pas. Jusqu’à ce qu’il eût rencontré Jésus-Christ, Pierre n’avait connu que les ténèbres. De là cette parole de saint Paul « La nuit a précédé, mais le jour s’est approché[4] ».

SOIXANTIÈME SERMON. SUR LA CHUTE DE SAINT PIERRE.

ANALYSE. — 1. Présomption de saint Pierre. — 2. Sa chute l’instruit de sa faiblesse.

1. Vous connaissez de saint Pierre la sublime profession de foi par rapport à la divinité de Jésus-Christ, vous savez aussi qu’à la voix d’une servante il renie Celui qu’il avait

  1. Rom. 11, 33
  2. Luc. 5, 10
  3. Jn. 1, 1
  4. Rom. 13, 12