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En d’autres termes : Pourquoi envoyez-vous la brebis au loup ? Le mot hébreu Ananie se traduit en latin par un mot qui signifie brebis. Or, c’est à Saul, devant plus tard s’appeler Paul, et de persécuteur devant devenir Apôtre, que s’appliquent ces paroles du Prophète : « Benjamin, loup ravisseur[1] ». Pourquoi Benjamin ? Écoutez saint Paul lui-même : « Moi aussi je suis israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin[2]. Le loup rapace frappe le matin sa victime, et le soir il partagera sa proie[3] ». Il consommera d’abord, et seulement après il nourrira. En effet, devenu prédicateur, Paul savait distribuer la nourriture, il savait à qui la donner ; il connaissait l’alimentation propre à un malade, à un infirme, ou à un homme fort et vigoureux. C’est en distribuant ainsi la nourriture, qu’il s’écriait : « Et moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels, à des enfants en Jésus-Christ. Je vous ai donné du lait, et lion une nourriture solide ; car vous ne pouviez alors et vous ne pouvez encore la supporter[4] ». Je partage donc la nourriture, je ne la jette pas indifféremment partout.
3. Ananie, timide brebis, avait entendu prononcer le nom de ce loup, et il tremblait entre les mains du pasteur. Le loup l’effrayait, mais le pasteur le rassurait, le consolait, l’affermissait et le protégeait. On lui dit des choses incroyables sur la personne de ce loup, et pourtant ce n’est que la vérité même qu’il reçoit des renseignements précis et fidèles. Écoutons la réponse que le Seigneur adresse à Ananie saisi de crainte : « Laissez, car cet homme est maintenant pour moi un vase d’élection, afin qu’il porte mon nom en présente des nations et des rois. Je lui montrerai ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom[5]. ». « Je lui montrerai ». Cette parole ressemble à une menace, et cependant elle est l’annonce de la couronne. Toutefois, que n’a pas souffert saint Paul, de persécuteur devenu Apôtre ? « Périls sur mer, périls sur les flots, périls dans la cité, périls dans le désert, périls de la part des faux frères, dans le travail et la privation, dans les veilles nombreuses, dans la faim et la soif, dans les jeûnes répétés, dans le froid et la nudité ; outre ces maux extérieurs, le soin que j’ai des Églises attire sur moi une foule d’affamés qui m’assiègent tous les jours. Qui est faible sans que je m’affaiblisse avec lui ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ?[6] » Tel est ce persécuteur ; souffrez, attendez. Car vous souffrirez plus que vous n’avez souffert jusque-là. Mais gardez-vous de vous irriter ; vous avez reçu avec usure. Mais qu’attendait-il au sein de toutes ses souffrances ? Écoutez ce qu’il nous dit dans un autre passage : « Le léger fardeau de notre tribulation ». Pourquoi ce fardeau est-il si léger ? Parce « qu’il opère en nous un poids immense de gloire ; pourvu que nous considérions, non pas ce qui se voit, mais ce qui est « invisible. Car les choses qui se voient sont « temporelles, tandis que les choses qui ne se voient pas sont éternelles[7] ». Il brûlait de l’amour des choses éternelles, lorsqu’il supportait avec tant de courage ces maux de toute sorte qui pouvaient effrayer par leur intensité, mais dont la durée ne pouvait être que passagère. Dès qu’on nous promet une récompense sans fin, toute souffrance destinée à avoir une fin doit nous paraître légère.
4. Mes frères, si l’Apôtre eut à subir tant de souffrances pour les élus, disons hardiment que ce n’est pas à lui qu’il faut en attribuer la gloire ; car la vertu de Jésus-Christ habitait en lui. Jésus-Christ régnait en lui, Jésus-Christ lui procurait des forces, Jésus-Christ ne l’abandonnait pas, Jésus-Christ courait avec lui la carrière, Jésus-Christ le conduisait à la couronne. Je ne lui fais donc pas injure, quand je dis que ce n’est pas à lui que revient la gloire. Je le dis en toute confiance et j’y suis autorisé par saint Paul lui-même. Puis-je craindre de m’attirer son courroux, lorsque je cite ses propres paroles ? Paul, parlez, parlez, grand saint et glorieux Apôtre ; que lues frères sachent que je ne vous fais point injure. Que dit-il donc ? Comparant ses travaux à ceux de ses collègues dans l’apostolat, il n’a pas craint de dire : « J’ai plus travaillé qu’eux tous[8] ». Mais aussitôt il ajoute : Ce n’est point moi. Dites donc ce qui suit, dans la crainte qu’on attribue à l’orgueil ces premières paroles : « J’ai plus travaillé qu’eux tous ». Vous commenciez à

  1. Gen. 49, 27
  2. Rom. 11, 1
  3. Gen. 19, 27
  4. 1 Cor. 3, 1-2
  5. Act. 9, 15,16
  6. 2 Cor. 11, 26,29
  7. Id. 4, 17-18
  8. 1 Cor. 15, 10