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sur des ossements nus et brisés ? Qui ne se détournerait de ce spectacle avec horreur ? Et cependant, l’éclatante sainteté de notre martyr donnait à cette scène je ne sais quel reflet de beauté ; la force invincible avec laquelle il combattait pour la foi, pour l’espérance du siècle futur et pour la charité de Jésus-Christ faisait oublier l’horreur des tourments et des blessures et les revêtait d’une auréole de gloire et de triomphe.
2. Un attrait bien différent séduisait, dans ce spectacle, le persécuteur et nous. Il applaudissait aux souffrances du martyr, et nous à la cause pour laquelle il souffrait ; il était heureux de le voir souffrir, et nous de voir pourquoi il souffrait ; il se complaisait dans les douleurs de sa victime, et nous dans sa vertu ; lui, dans ses blessures, et nous, dans sa couronne ; lui, dans la durée de ses souffrances, et nous, dans son énergie à les supporter ; lui, dans les tortures corporelles, et nous, dans la fermeté et la persévérance de sa foi. Si donc le persécuteur trouvait sa cruauté satisfaite, toujours est-il que la vérité prêchée par le martyr était pour lui un remords et un tourment ; de notre côté, si l’horreur des supplices nous glaçait d’horreur, du moins la mort de Vincent était pour nous une grande victoire. Il restait vainqueur, non pas en lui-même et par lui-même, mais en Celui et par Celui qui, du haut de sa croix, prête à tous son puissant secours et nous a laissé dans ses propres souffrances un exemple et un appui. En nous appelant à la récompense, il nous exhorte au combat, et il nous contemple dans la lutte afin de venir au secours de notre faiblesse. À son athlète il détermine l’œuvre à accomplir et propose la récompense à recevoir, afin de prêter son appui et d’empêcher toute défaillance. Qu’il prie donc simplement celui qui veut combattre simplement, triompher généreusement et régner heureusement.
3. Nous avons entendu notre frère confessant la sainte doctrine et confondant son persécuteur par la constance et la véracité de ses réponses. Mais auparavant nous avons entendu le Seigneur s’écriant : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous[1] ». Si donc saint Vincent a confondu ses adversaires, c’est parce qu’il a loué dans le Seigneur ses propres discours. Il savait dire : « Je louerai ma parole dans le Seigneur, je louerai mon discours dans le Seigneur ; j’espérerai dans le Seigneur, je ne craindrai pas ce que l’homme pourrait me faire[2] ». Nous avons vu ce martyr supportant avec une admirable patience des tourments inouïs, mais il se tenait dans une complète dépendance à l’égard de Dieu. « Car c’est de Dieu que lui venait la patience[3] » ; toutefois, comme il connaissait notre fragilité humaine, comme il craignait toute défaillance qui aurait pu lui faire renier Jésus-Christ et combler de joie son persécuteur, il savait à qui il adressait ces belles paroles : « Mon Dieu, arrachez-moi de la main du pécheur, de la main de celui qui méprise votre loi et la foule indignement aux pieds ; car vous êtes ma patience[4] ». L’auteur de ces saints cantiques nous enseignait comment un chrétien doit demander d’être délivré des mains de ses ennemis ; ce n’est pas sans souffrir, mais en supportant patiemment toutes ses souffrances : « Arrachez-moi des mains du pécheur, des mains de celui qui méprise votre loi et la foule aux pieds ». Si vous voulez savoir quelle délivrance il implore, écoutez ce qui suit : « Car vous êtes ma patience ». Toute souffrance est glorieuse quand elle est accompagnée de cette pieuse confession : « Afin que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur [5] ». Que personne donc ne présume de son cœur, quand il proclame sa pensée ; que personne ne présume de ses forces, quand il subit la tentation ; car lorsque nos paroles sont dictées par la sagesse, cette sagesse ne nous vient que de Dieu, et c’est de Dieu aussi que nous vient la patience avec laquelle nous supportons nos souffrances. La volonté vient de nous ; mais du moment que Dieu nous appelle, nous sommes déterminés à vouloir. La prière est notre œuvre ; mais nous ne savons pas ce que nous devons demander. C’est à nous de recevoir, mais que recevons-nous, si nous n’avons rien ? C’est nous qui possédons, mais que possédons-nous, si nous ne recevons rien ? Voilà pourquoi « celui qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur ».
4. C’est ainsi que le martyr saint Vincent a mérité d’être couronné par le Seigneur, car c’est dans le Seigneur qu’il a désiré d’être glorifié par la sagesse et la patience. Il est

  1. Mt. 10, 20
  2. Ps. 55, 11
  3. Id. 61, 6
  4. Id. 70, 4,5
  5. 1 Cor. 1, 31