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meurt, mais il est immortel, et le Père n’éprouve aucune perte puisqu’il n’est pas privé de son Fils immolé. Le Sauveur a livré son corps humain, mais il est ressuscité comme Dieu. Sa mort est donc un renouvellement et non pas un châtiment, puisqu’il sort du tombeau glorieux et immortel. Nation incrédule des Juifs, prêtez l’oreille au récit de ces prodiges et sachez ce que vous avez fait ; dans la personne du Fils de Dieu, aujourd’hui plein de vie, vous avez perdu le Nuit de votre déicide. Pour vous, chrétiens fidèles, il ne vous appartient pas de tout scruter, mais de craindre ; écoutez donc les enseignements que renferment le mystère et le nom de la fête de ce jour. En hébreu, Pâque veut dire passage ; en grec, il veut dire souffrance. Les Juifs n’y voient que le souvenir du passage qui permit à leurs ancêtres, sortant de l’Égypte, de traverser à pied sec la mer Rouge qui avait desséché son lit et suspendu le cours de ses flots ; nous, chrétiens, nous célébrons dans la Pâque l’anniversaire d’un passage et celui de la passion de Jésus-Christ. De même que, pour les Juifs, le passage de la mer Rouge assura leur délivrance de la captivité, de même la passion du Sauveur fut la rédemption des pécheurs. C’est donc ici, par excellence, le jour solennel que Dieu nous a fait, puisque c’est en son honneur qu’a été immolé l’Agneau innocent figuré dans les sacrifices judaïques.
2. O honte ! cette solennité réveille chaque année, dans le cœur des Juifs, le désir du déicide ; ils n’immolent plus en réalité le Fils de Dieu, mais au nom de la religion ils se sentent toujours disposés à commettre ce crime, et ils se félicitent de l’avoir commis. Que c’est donc avec raison que Jésus-Christ est désigné sous le nom d’agneau par les Prophètes ! En apercevant le Seigneur sur la terre, le saint Précurseur le salue en ces termes : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde[1] » ; c’était dire clairement : Voici le véritable agneau pascal. Longtemps avant la naissance de Jésus-Christ, Isaïe l’avait ainsi dépeint « Comme l’agneau reste silencieux sous la main de celui qui le tond, ainsi il n’ouvrira pas la bouche[2] ». Et, en effet, le Sauveur garda ce profond silence dans toute sa passion pendant que le peuple l’accablait d’injures. Le texte sacré parlait de la solennité pascale, mais il en parlait en figure ; car tout mystère, alors même qu’il est dévoilé aux yeux des peuples, conserve toujours son côté obscur. Ce texte sacré portait : « Vous aurez un agneau sans tache, mâle, et d’un an ; vous le prendrez parmi vos boucs et vos chevreaux et vous le conserverez jusqu’au quatorzième jour de ce mois, et tout le peuple de l’assemblée des enfants de Dieu l’immolera vers le soir, et ils prendront de son sang[3] ». C’est nous qui recevons ce sang de Jésus-Christ, dont ses bourreaux ont été arrosés et qui est retombé sur eux pour leur condamnation et en exécution de ce vœu déicide : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[4] e».
3. Le Seigneur avait dit également : « Ses os ne seront pas brisés[5] ». Cette parole reçut son parfait accomplissement ; car, tandis que les voleurs, crucifiés avec Jésus-Christ, eurent les membres brisés, ceux de Jésus-Christ restèrent intacts. Ce ne fut là l’effet ni d’une erreur, ni d’un accident, ni du hasard ; celui-là pèche avec préméditation, qui observe dans son crime une certaine discipline. Disons enfin pourquoi Jésus-Christ est appelé victime. Adam, le premier homme, qui fut aussi les prémices de notre péché, avait porté jusque dans les limbes la malédiction d’un Dieu vengeur et attendait qu’il y fût racheté par le sang de Jésus-Christ, de telle sorte que la chair devait racheter la chair, la croix du calvaire devait racheter l’arbre du paradis terrestre, et le véritable Fils de la vierge Marie devait racheter le complice de la première femme. Voilà pourquoi, dans la personne du Fils de Dieu, l’innocent a été livré pour le coupable. Jésus-Christ est mort pour l’homme, et c’est lui-même qui s’est substitué volontairement, alors même qu’il aurait pu nous sauver sans mourir. Ainsi, ce qui est mort dans l’homme et en Jésus-Christ, c’est la chair pécheresse qui n’a pu recouvrer son droit à la vie que par le supplice de la chair sacrée du Sauveur. Quand donc, pour le péché de l’homme, Jésus-Christ a livré à la mort son corps destiné à la résurrection, cette mort, en réalité, n’a été qu’un véritable triomphe.

  1. Jn. 1, 29
  2. Isa. 53, 7
  3. Ex. 12, 5-6
  4. Mt. 27, 25
  5. Ex. 12, 46