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foi est arrivée à la perfection de sa splendeur et de son épanouissement. Comparons donc la foi au parfum d’agréable odeur. Quiconque possède de ces parfums précieux les conserve avec une extrême sollicitude. Tant que ces parfums restent en repos, ils semblent annihilés et endormis. Mais s’ils doivent concourir à la joie d’une fête ou à l’embellissement d’un festin, ils recouvrent par une prudente agitation ce que le repos leur avait fait perdre, c’est-à-dire leur odeur et leur prix. Ainsi en est-il, dans chaque fidèle, du parfum de la foi : il a besoin d’être librement reçu dans des cœurs généreux ; toutefois, il semble perdre de son prix tant qu’il n’est pas agité par la discussion.

2. C’est dans ce but que nous vous adressons ce discours. Vos esprits, comme autant de vases précieux, me paraissent avoir reçu ce parfum de la foi que Dieu n’accorde qu’à ses courtisans. Je m’accuserais d’une négligence coupable, si je n’agitais pas ce parfum jusqu’à ce que sa suave odeur se soit répandue dans tout le corps de l’Église et ait dissipé les miasmes fétides que respirent parfois encore ceux qui vivent au sein de la foi. Quel est donc ce parfum ? « Jésus-Christ est mort et est ressuscité[1] » ; tel est le prix et la rédemption du monde tout entier. Goûtez maintenant, si vous le voulez, la suavité de ce parfum dont vous connaissez le prix et la dignité. C’est Dieu lui-même qui nous l’a apporté du haut du ciel. Et qui donc l’a reçu ? Voyons si ce n’est pas cette Église si bien figurée par cette femme qui versa sur la tête du Sauveur ce parfum qui, selon la parole de Jésus-Christ lui-même, annonçait sa sépulture. L’Église, mes frères, l’Église a reçu le parfum de ce sacrement ; et tout ce qu’elle reçoit de Jésus-Christ retourne à Jésus-Christ. Toutefois ce parfum n’est point attribué à tous et ne leur est point attribué dans la même mesure. En effet, l’Apôtre a dit de la croix même de Jésus-Christ : « Elle est pour les uns une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour la mort[2] » ; en d’autres termes, « elle est un scandale pour ceux qui périssent, tandis qu’elle est la vertu de Dieu pour ceux qui opèrent leur salut.

3. Cependant cette odeur déplaît à quelques-uns ; je voudrais qu’ils disent ce qui dans la mort de Jésus-Christ ne sent pas la vie ? ce qui ne respire pas la résurrection dont Jésus-Christ nous fournit le modèle ? « Il est mort et il est ressuscité ». C’est donc là ce qui leur déplaît ?? Est-il un seul homme qui ne se sente très avide de respirer ces suaves odeurs ? S’il en est un seul, je demanderai alors à ce sophiste du siècle, à cet habile appréciateur de semblables parfums, ce qui peut lui déplaire dans la composition de ce parfum ; voyons de quels éléments il est formé. Et enfin, quel est son prix ? Nous pouvons affirmer que tant vaut la piété, tant vaut ce parfum. Nous demanderons peut-être si la piété se trouve dans la mort de Jésus-Christ, et quelle est son importance ; l’Apôtre nous répond : « Manifestement c’est un grand sacrement de piété, celui qui a été manifesté dans la chair », il parle de la chair revêtue par le Verbe Éternel ; « qui a été justifié dans l’Esprit », lorsque le péché de la chair est vaincu dans la chair ; et qui est apparu aux anges[3] », soit lorsqu’une multitude d’esprits célestes fit entendre ce chant de joie : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[4] » ; soit encore lorsque nous-mêmes, sondant les profondeurs de ce mystère et l’annonçant au monde, nous nous trouvons associés au ministère des anges ; « il a été prêché aux Gentils », afin que dans tout l’univers le nom chrétien devînt commun à toutes les nations ; « il a été cru dans le monde, il est devenu un principe de gloire[5] ». Ce qui a été cru dans le monde, n’est-ce pas le mystère du Verbe divin revêtant un corps auquel il a conféré plus tard les gloires de la résurrection ? Connaissant donc ce prix infini de la piété, l’Apôtre en a fait l’objet spécial des instructions qu’il adresse à son disciple. Parlant à son cher fils Timothée, il lui dit : « Exercez-vous à la piété ; car la piété est utile à tout, puisqu’elle a la promesse de la vie présente et de la vie future[6] ». Pouvait-on nous faire mieux sentir le prix de ce parfum de la piété, qui n’est autre pour nous que le mystère de l’Incarnation dont la valeur est infinie ?

4. Allons plus loin, car à la piété s’ajoute la charité. Or, là croix du Sauveur n’est-elle pas la preuve évidente de l’amour infini de

  1. Rom. 14, 9
  2. 2Co. 2, 16
  3. 1Ti. 3, 16
  4. Luc. 2, 19
  5. 1Ti. 3, 16
  6. Id. 4, 7-8