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conseil, le Dieu fort, le Prince de la paix, le Père du siècle futur[1] ». Aujourd’hui, mes frères, s’est accomplie cette prophétie d’Isaïe « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un Fils qui sera nommé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous[2] ». Aujourd’hui s’est réalisé cet oracle du saint prophète Habacuc, s’écriant avant la venue de Jésus-Christ : « Seigneur, j’ai entendu votre voix, et j’ai craint ; j’ai considéré vos œuvres, et j’ai été frappé d’étonnement[3] ». Puis, comme si quelqu’un lui eût demandé quelle est cette œuvre qui le frappe d’étonnement, il répond immédiatement : « Vous serez reconnu entre deux animaux », c’est-à-dire dans l’étable, où le bœuf et l’âne mangent le foin et la paille, et où vous vous cacherez pour échapper à la fureur d’Hérode.
2. Telle est, mes frères, la joie à laquelle nous convie la solennité de ce jour ; le bonheur que nous a procuré la miséricorde de Jésus-Christ est si grand, qu’au moment même où « nous étions assis dans les ténèbres des péchés et dans l’ombre de la mort[4] », la lumière de Jésus-Christ a brillé à nos yeux, et par là nous avons mérité « le nom et la qualité d’enfants de Dieu[5] ». Nous devons ce bienfait à Celui dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Or, « Celui par qui tout a été fait, et sans lequel rien n’a été fait[6] », s’est profondément humilié dans sa naissance, afin de nous relever de notre profonde bassesse ; il s’est manifesté sur la terre, afin de nous montrer le chemin qui conduit au ciel. Quel jour de gloire et de bonheur ! Quelle langue humaine serait capable de le célébrer dignement ! Toutefois, si elle est ineffable, la faveur que Jésus-Christ nous accorde aujourd’hui gratuitement dans sa naissance ; si cette faveur surpasse infiniment toute la reconnaissance que nous pourrions témoigner à Dieu, ne laissons pas cependant de rendre au Seigneur toutes les actions de grâces dont nous sommes capables. « Confessons ses bienfaits en sa présence, et faisons éclater notre jubilation dans de saints cantiques[7]» ; que notre cœur lui parle, que nos lèvres redisent sa gloire ; que personne ne s’abstienne de cette louange, et sachons que notre silence serait un signe d’ingratitude : nous vous rendons grâces, ô Christ, notre Sauveur, notre Rédempteur et notre appui, souverain maître et ordonnateur du monde ; vous étiez avec le Père et le Saint-Esprit ; vous régniez en souverain absolu dans le ciel, et pour nous vous avez pris la forme d’esclave.
3. C’est ce bienfait, mes frères, qu’avec la grâce de Dieu j’essaie de dérouler sous vos yeux, en vous rappelant que ces dons nous ont rendu nos droits au royaume éternel. Aspirez aux biens éternels avec une ferme confiance ; puisque Jésus-Christ vient à vous, cherchez la compagnie des anges et la société des saints. Pour nous, le Créateur des temps s’est soumis à la condition du temps ; pour nous, l’Auteur et le Créateur de toutes choses s’est soumis aux lois de la création temporelle. En naissant aujourd’hui d’une Vierge, Jésus-Christ aurait-il eu besoin de nous ? bien plutôt c’est notre profonde misère qui réclamait un tout-puissant auxiliaire. En effet, s’il ne se fût humilié pour nous, il ne nous aurait pas délivrés de notre misère. Il a vu que l’homme, « qui n’est que cendre et poussière[8]», paille et étoupe, sang et humeur, périrait dans sa misère, resterait l’esclave du démon orgueilleux, négligerait les ordres du Seigneur et serait éternellement privé du royaume des cieux. Le Verbe est descendu dans la chair et s’est fait homme, afin qu’à son exemple nous devenions des dieux. Pour sa naissance il a pris en quelque sorte modèle sur la nôtre, et il nous invite à imiter son humilité : « Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de peines et de fardeaux », qui sentez sur vous le poids écrasant du joug dit démon, c’est-à-dire de l’orgueil, de la méchanceté, de l’iniquité et du péché. Vous souffrez de tout cela, mais « venez à moi », c’est-à-dire humiliez-vous, comme vous voyez que je m’humilie moi-même, « et je vous soulagerai[9] » ; car si vous ne commencez par vous humilier, vous ne pourrez vous élever. Rejetez loin de vous le fardeau de vos péchés, ce joug que le démon vous imposait jusqu’alors, et « prenez mon joug, car il est doux, et mon fardeau, car il est léger », afin que vous imitiez en tout mon humilité. Vous qui n’êtes qu’une simple créature et l’ouvrage de mes mains, vous auriez pu rejeter l’humilité ; voilà pourquoi je l’ai pratiquée moi-même

  1. Isa. 9, 6
  2. Id. 7, 14
  3. Hab. 3, 2
  4. Isa. 9, 2
  5. Jn. 3, 1
  6. Jn. 1, 1-3
  7. Ps. 94, 2
  8. Gen. 18, 27
  9. Mt. 11, 28