Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/256

Cette page n’a pas encore été corrigée

Comment cela, je vous prie ? N’est-il pas écrit : « Au jour où le pécheur se convertira, j’oublierai toutes ses iniquités [1] ? » Voilà comment Dieu me laisse en sûreté. Hier j’avais dix péchés, aujourd’hui j’en ai quinze, demain peut-être j’en aurai vingt. Or, m’appuyant sur le témoignage infaillible de Dieu, je sais que, le jour où je me convertirai, il oubliera mes péchés passés et mes iniquités. Pourquoi donc essayez-vous de m’effrayer ? Dieu me promet le pardon, et vous me poussez au désespoir ? Je ne puis nier que Dieu ne nous ait fait cette promesse. Pourquoi donc ne vous convertissez-vous pas aujourd’hui ? Parce que, si tard que je me convertisse, Dieu me promet de me pardonner alors un grand nombre de péchés, comme il m’en pardonnerait aujourd’hui un petit nombre. O vaine sécurité ! Pourtant c’est là tout ce qui me tranquillisait. Je vois bien que Dieu a daigné vous promettre le pardon ; mais qui donc vous a promis le jour de demain ? Voilà pourquoi je demande que chacun se convertisse au Seigneur, selon cette autre parole : « Convertissez-vous, cherchez le Seigneur, et lorsque vous l’aurez trouvé, que l’impie abandonne sa voie[2] ». Convertissez-vous, car c’est sur une fausse espérance que vous vous reposez. En effet, deux excès entraînent le genre humain à sa perte e: les uns périssent en espérant, et les autres en désespérant. Ce qui vous étonne peut-être, c’est qu’on puisse périr en espérant.

3. Examinons donc brièvement quels sont ceux qui périssent en espérant et ceux qui périssent en désespérant, et voyons pour tous le remède que Dieu leur présente. Il périt par désespoir, celui qui dit : Je connais mes péchés, je connais mes crimes. Est-il possible que Dieu me pardonne toutes les fautes que j’ai commises ? Il périt aussi par désespoir, celui qui dit : Que m’importent toutes vos exhortations ? Je ferai bien tout ce que je puis, mais je perds tout ce que je ne fais pas. Si le Seigneur doit me condamner pour un seul péché, comment ne me condamnerait-il pas pour plusieurs ? Si donc je ne dois pas posséder la vie éternelle, du moins je ne veux pas perdre la vie présente. Pourquoi ne pas accomplir mes désirs, ne pas satisfaire mes passions ? Celui-là périt par désespoir. Un autre, pour échapper à l’horreur du désespoir, va chercher sa perte dans la présomption. Comment la présomption ? Le jour où je me convertirai, dit-il, le Seigneur promet de me pardonner tous mes péchés ; j’espère donc de sa miséricorde qu’il oubliera toutes mes iniquités. Et fort de cette présomption, il diffère de jour en jour ; mais tout à coup la mort le frappe, toute espérance s’évanouit, il ne lui reste plus que la damnation. L’Écriture a pour eux des avertissements salutaires. Vous vouliez périr par désespoir, écoutez cette parole du Seigneur : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie[3] » ; vous vouliez mourir, revenez et vivez ; si Dieu voulait votre mort, il vous frapperait à l’instant même où vous péchez, en ce moment même où vous avez tant péché. Mais par cela même qu’il vous laisse la vie, il vous invite à la pénitence. Vous n’espérez pas ; écoutez donc : « Je ne veux pas la mort du pécheur ». Vous voulez votre mort, moi je ne la veux pas ; vous n’êtes pas l’auteur de votre vie, et vous voulez la perdre dans le désespoir. Lorsque vous n’étiez pas, Dieu vous a créé ; vous vous étiez perdu dans le péché et Dieu vous a cherché, il vous a trouvé par le sang de son Fils, il vous a racheté et il vous offre le remède à tous vos maux. Sortez du gouffre du désespoir : « Parce que je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie ».

4. Vous alliez à votre perte, vous êtes sortis de l’abîme du désespoir, mais tenez-vous dans un juste milieu ; ne vous jetez pas dans l’excès contraire, et si vous ne désespérez plus de votre pardon, du moins ne comptez pas sur une plus longue existence. Convertissez-vous donc. Vous répondez : Je me convertirai demain. Pourquoi pas aujourd’hui ? Et quel mal d’attendre à demain ? Et quel mal de le faire aujourd’hui ? Mais je suis assuré que ma vie sera longue. Moi je sais que Dieu ne vous l’a pas promis. Peut-être cette promesse vous a-t-elle été faite par quelque devin cherchant quelqu’un qui partage sa damnation ? Eh bien ! je porte les choses à l’extrême : votre vie sera longue ; si elle doit être longue, qu’elle soit bonne ; si elle est courte, que du moins elle soit bonne. Quelle haine portez-vous donc à votre vie, que vous ne vouliez pour elle que le mal, afin que vous soyez mauvais au milieu de tous vos biens ? Mais

  1. Eze. 18, 21
  2. Isa. 55, 6-7
  3. Eze. 33, 2