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pitié de vous et que vous viviez ; mais : Blasphémez contre Dieu, afin qu’il s’irrite contre vous et vous frappe de mort. O raisonnements de l’antique serpent ! Il pensa séduire par son épouse celui dont il n’avait pu obtenir aucun blasphème, malgré les souffrances dont il le chargeait. Et pourtant Job ne lança contre Dieu aucune parole de colère ou d’ingratitude, et, malgré les suggestions de sa femme, il obéit jusqu’au bout, non pas au démon, mais à Dieu. Adam eut-il à subir de semblables épreuves ? Quelle lutte soutint-il contre le démon ? Rien de pareil ne se retrouve dans sa personne ; pourquoi donc obéit-il au démon, plutôt qu’à Dieu ?
3. Calomniateur, vous demandez encore Pourquoi ces paroles du Seigneur : « Vous mourrez de mort » ; puisque Dieu n’a pas éloigné la mort, n’est-ce pas lui qui l’a faite ? Une telle ineptie se retourne facilement contre vous. Vous n’êtes qu’un humble mortel ; je suppose donc que, dans la crainte que vos serviteurs ne s’exposent à la mort, vous leur intimez un précepte qui doit assurer leur vie ; mais voici que l’un deux, par l’effet de sa négligence et de son incurie, tombe dans un piège et meurt ; est-ce que c’est à vous que l’on doit imputer cette mort, non pas à celui qui, en méprisant vos ordres, s’est exposé de lui-même à mourir ? De même, la mort d’Adam ne doit en aucune manière être imputée à Dieu, qui, avant la transgression du précepte, l’avait averti de ne point s’exposer à la mort. N’est-il pas évident que Dieu ne voulait pas que l’homme pérît, et que ce n’est pas lui qui a fait la mort ? C’est ce qu’affirme la sagesse par la bouche de Salomon : « Dieu a n’a pas fait la mort, et il ne se réjouit pas a dans la perte des vivants[1] ». Adam a transgressé le précepte de Dieu ; et pourtant il n’avait été ni couvert de blessures, ni frappé de glaive par un persécuteur. Or, personne ne viole les lois d’un empereur, sans s’exposer à être puni de mort. Ce n’est qu’avec une grande crainte et une vénération profonde que les sujets reçoivent une vile ordonnance de leur prince : elle n’est rédigée que par une autorité humaine, et pourtant ils l’adorent comme un précepte divin. D’un autre côté, lecture est donnée des divines Écritures, la parole de Dieu retentit comme la foudre ; c’est en quelque sorte Dieu lui-même qui parle aux auditeurs, et cependant il n’est ni respecté, ni craint, ni adoré, ni écouté ; et ce qui est pire encore, l’auditoire est pris comme d’un immense dégoût, les regards se promènent de tous côtés, l’attention est distraite et les fables les plus futiles absorbent tous les esprits. Un empereur, à une très-grande distance, parle par son décret, il inspire la crainte, et son décret est vénéré comme sa personne elle-même ; nous lisons les oracles du Seigneur, et un trop grand nombre les méprisent. Les Prophètes l’annoncent, les Apôtres le prêchent, les Évangélistes nous le montrent ; il s’entretient lui-même avec les hommes, et il n’est pas écouté. Prêtez l’oreille à cette parole de Jésus-Christ vivant au milieu des hommes et leur disant : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je me trouve au milieu d’eux[2] ». Mais, disent encore les calomniateurs, Dieu n’a pas dû permettre que l’homme péchât. Qu’ils sont insensés ceux qui tiennent ce langage et oublient que Dieu, en créant l’homme, n’en a pas fait une statue de pierre ou de marbre, mais un homme parfait, jouissant de la puissance du libre arbitre ! Cet homme ainsi maître de sa volonté devait envisager sérieusement le bien qu’il avait à désirer et le mal qu’il avait à mépriser ; il lui fallait craindre ce dont le Seigneur l’avait menacé, et mépriser ce que le démon lui avait suggéré. Sans perdre de vue un seul instant la récompense de l’immortalité, il devait disposer son oreille et son cœur à accomplir le précepte de son Créateur, et à repousser le conseil de son bourreau. N’ai-je pas raison d’accuser l’homme plutôt que Dieu qui a fait l’homme bon, et à qui je fais la plus grossière injure ; car je le condamne pour justifier l’homme ? O folle et vaine question ! Les hommes disent Dieu n’aurait pas dû permettre que l’homme péchât, et ils ne disent pas que l’homme a mal fait en transgressant le précepte de Dieu, pour pécher. L’homme devait donc craindre la mort, et ne pas toucher à l’arbre défendu.
5. Quand un homme insulte le représentant, je ne dis pas seulement d’un empereur, mais même d’un juge, n’est-il pas conduit au supplice ? Adam a méprisé les ordres de Dieu et il trouve des défenseurs ! Pourquoi accusez-vous Dieu malgré le danger qui vous menace, et non pas l’homme qui ne peut rien contre vous ? Pourquoi accusez-vous le créateur,

  1. Sag. 1, 13
  2. Mt. 18, 20