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de l’univers, parce que les membres du Christ s’y trouvent partout répandus. Si tu n’aimes qu’une portion de l’univers, ton amour est partagé ; et s’il est partagé, tu ne fais point partie du corps de Jésus-Christ ; et si tu es en dehors de son corps, il n’est point ton chef. A quoi bon croire et blasphémer ? Tu adores le Christ comme chef, et tu le blasphèmes dans son corps ? Il aime son corps. Si tu t’en es séparé, le chef ne t’a pas imité. Tu m’honores sans motif, te crie-t-il du haut du ciel : tu m’honores sans raison. C’est, par exemple, comme si un homme voulait en même temps te baiser à la tête, et écraser tes pieds. S’il pressait tes pieds avec des bottines armées de clous, au moment où il tiendrait ta tête entre ses mains pour l’embrasser, le laisserais-tu t’adresser tranquillement des paroles flatteuses ? Ne l’interromprais-tu point par tes cris, et ne lui dirais-tu pas : O homme, que fais-tu ? Tu m’écrases. Tu ne lui dirais pas : Tu écrases ma tête, puisqu’au moment même il donnerait à la tête une marque d’honneur : des cris s’échapperaient de ta tête, bien plus pour la défense de tes membres blessés, que pour la sienne propre, puisqu’on lui ferait honneur. Ta tête ne tiendrait-elle pas ce langage : Je neveux pas de tes témoignages de respect, ne m’écrase pas ? Dis, si tu l’oses : Mais je n’ai pas voulu t’écraser. Dis à la tête : J’ai voulu te donner un baiser, j’ai voulu t’embrasser. Insensé, ne vois-tu pas que la partie de mon corps honorée par toi, tient à celle que tu blesses, puisqu’elles forment ensemble un seul et même tout ? Tu m’honores par en haut, tu me blesses par en bas. La douleur du membre que tu foules à tes pieds surpasse de beaucoup la joie de la tête que tu honores ; car le chef que tu honores gémit pour le membre que tu meurtris. Quel cri profère la langue ? J’ai mal. Elle ne dit pas : Mon pied a mal ; mais : J’ai mal. O langue, qu’est-ce qui t’a touchée ? Qu’est-ce qui t’a frappée ? Qu’est-ce qui t’a serrée ? Qu’est-ce qui t’a écrasée ? Personne. Mais je ne fais qu’un avec les pieds qu’on a écrasés. Comment veux – tu que je n’aie pas mal, puisque les liens qui m’unissent à eux ne sont pas rompus ?


9. Aussi, au moment de remonter au ciel le quarantième jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ a-t-il recommandé son corps pour l’endroit où il devait le laisser ; car, il lesavait, plusieurs l’honoreraient en raison de sa résidence au ciel ; mais il n’ignorait pas non plus l’inutilité des honneurs qu’ils lui rendraient, s’ils venaient à fouler aux pieds ses membres placés ici-bas. Afin de ne laisser place à erreur pour personne ; afin qu’on n’écrasât pas ses pieds sur la terre, tandis qu’on adorerait sa tête dans le ciel, il dit où seraient ses membres. Avant de remonter vers son Père, il prononça des paroles, les dernières qui sortirent de sa bouche en ce monde. Sur le point d’entrer au ciel, le chef recommanda ses membres qui restaient sur la terre, puis il disparut. A partir de ce moment, tu n’entends plus le Christ parler ici-bas ; si tu l’entends, il te parle du haut du ciel. Pourquoi a-t-il parlé du haut du ciel ? Parce que ses membres étaient écrasés sur la terre. Aussi, de son séjour céleste dit-il au persécuteur Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[1] ? » Je suis remonté au ciel, mais je demeure encore sur la terre. Au ciel, je suis assis à la droite du Père ; sur terre, j’ai encore faim et soif : j’y suis encore exilé. Au moment de remonter vers son Père, comment donc a-t-il recommandé son corps ? Ses disciples l’interrogeaient : « Seigneur », lui disaient-ils, « sera-ce en ce temps-ci que vous reviendrez ? Quand rétablirez-vous le royaume d’Israël ? Il leur répondit », en s’en allant : « Ce n’est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint venant sur vous, et vous serez témoins pour moi ». Voyez en quels endroits il répand ses membres : voilà où il ne veut pas qu’on l’écrase. « Vous serez témoins pour moi à Jérusalem, et dans toute la Judée, et à Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre[2] ». Moi, qui monte au ciel, voilà où je réside encore. Je monte au ciel, en qualité de chef ; mais mon corps reste ici. Ou reste-t-il ? Par toute la terre. Prends garde de le frapper, de lui faire violence, de le fouler aux pieds. Ce sont les dernières paroles que le Christ a prononcées avant de s’en aller au ciel. Supposez un homme cloué sur un lit de douleur, gisant dans sa maison, brisé par la maladie, sur le point de rendre l’âme, ayant, pour ainsi dire, la mort entre les dents : tourmenté au sujet d’une chose qui lui tient au cœur, et qu’il aime beaucoup, il porte sur elle sespensées,

  1. Act. 9, 4
  2. Id. 1, 6-8