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une lutte à laquelle il apporte de la patience et du courage, afin de mourir sans regrets. Pour celui qui, suivant la parole de l’Apôtre, désire « être dégagé des liens du corps, pour se trouver avec Jésus-Christ », il ne supporte pas avec soumission la nécessité de mourir ; mais il se soumet sans murmure à la nécessité de vivre, et il quitte ce monde avec bonheur. Vois l’Apôtre ; il vivait patiemment, c’est-à-dire, il n’aimait pas cette vie terrestre, mais il la supportait sans se plaindre. « J’éprouve, » disait-il, « un ardent désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur ; mais il est nécessaire pour vous que je demeure en cette vie[1] ». Donc, mes frères, mettez-vous à l’œuvre, luttez au dedans de vous-mêmes, pour que vous désiriez ce jour du jugement. Commencer à désirer ce jour, c’est le seul moyen de prouver qu’on a la charité parfaite. Celui-là le désire, qui a confiance en lui ; et celui-là a confiance en lui, dont la conscience ne tremble point, parce qu’elle s’appuie sur une charité parfaite et sincère.
3. « Son amour est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement ». Pourquoi aurons-nous confiance ? « Parce que nous sommes dans ce monde comme il y est ». Tu connais maintenant le motif de ta confiance : « Parce que nous sommes dans le monde comme il y a est lui-même ». L’Apôtre ne semble-t-il pas avoir dit une chose impossible ? En effet, l’homme peut-il être comme Dieu ? Je vous l’ai déjà dit : le mot a comme » n’est pas toujours employé pour signifier égalité, il exprime aussi parfois une certaine ressemblance. Ne dis-tu pas : Cette image a des oreilles comme j’en ai moi-même ? Ces oreilles sont-elles, néanmoins, identiquement les mêmes ? Cependant tu emploies à leur égard le mot « comme ». Puisque nous avons été créés à l’image de Dieu, pourquoi ne sommes nous pas comme Dieu ? C’est que nous ne lui sommes pas égaux, mais que nous avons, avec lui, une certaine ressemblance. D’où nous vient donc notre confiance pour le jour du jugement ? « De ce que nous sommes en « ce monde, comme il y est lui-même ». Nous devons rapporter ces paroles à la charité, et les entendre en ce sens. Le Sauveur dit dans l’Évangile : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains n’agissent-ils pas ainsi ? » Que veut-il donc de nous ? « Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». S’il nous commande d’aimer nos ennemis, quel modèle de charité nous présente-t-il ? Dieu lui-même, car il ajoute : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père, qui est dans les cieux ». Comment Dieu nous donne-t-il l’exemple de la charité ? Il aime ses ennemis, « puisqu’il fait « lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes[2] ». Puis donc que Dieu nous invite à être assez parfaits pour aimer nos ennemis, comme il a lui-même aimé les siens, notre confiance, pour le jour du jugement, vient « de ce que nous sommes en ce monde, « comme il y est lui-même ». Comme il manifeste son amour à l’égard de ses ennemis, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes ; ainsi, et parce que nous ne pouvons leur distribuer les rayons du soleil et la pluie, nous versons pour eux des larmes, lorsque nous prions en leur faveur.
4. Voyez maintenant ce que l’Apôtre dit de la confiance, dont nous avons parlé. Comment savoir si notre charité est parfaite ? « La crainte ne se trouve point dans l’amour ». Aussi, que dire de celui qui a commencé à craindre le jour du jugement ? S’il avait la charité parfaite il ne craindrait pas ; car la charité parfaite rendant parfaite sa justice, il n’aurait aucun motif de crainte, il aurait même un motif de désirer la fin de l’iniquité et la venue du royaume de Dieu. Donc, « la crainte ne se trouve pas dans la charité ». Mais de quelle charité s’agit-il ? Ce n’est point de la charité commencée. De laquelle, alors ? « Mais », dit Jean, « l’amour parfait chasse la crainte », commencez donc par la crainte ; car « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ». La crainte prépare, en quelque sorte, la place à la charité, et quand la charité commence à habiter en nos cœurs, elle en chasse la crainte, qui lui avait préparé là une place. La crainte y diminue à mesure que la charité y augmente, et plus profondément y pénètre celle-ci, plus celle-là s’en éloigne ; moindre est la charité,

  1. Phil. 1, 23-24
  2. Mt. 5, 44-46