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nous donne le goût des choses bonnes que de nous en accorder de mauvaises. Sans doute, il n’est pas mauvais de se nourrir de chair, ainsi que l’Apôtre le dit à cette occasion : « Toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces [1]. Mais, comme dit le même Apôtre : « Il est mal à un homme de manger avec scandale [2] » ; et s’il en est ainsi quand il y a scandale pour l’homme, combien plus en est-il ainsi lorsque Dieu lui-même en est offensé ? Et ce n’était pas, de la part des Israélites, une légère offense à l’égard de Dieu, que de repousser ce que leur donnait la sagesse, et de demander ce que désirait leur appétit déréglé ! Cependant ils ne demandaient pas, mais ils murmuraient au sujet de ce qui leur manquait : par là nous devons apprendre que les créatures de Dieu ne sont pas coupables, mais seulement notre désobéissance et nos désirs déréglés ; ce n’est pas à cause de la viande de porc, mais à cause d’un fruit, que le premier homme ait trouvé la mort [3]. Et Esaü a perdu son droit d’aînesse, non pas pour une poule, mais pour des lentilles [4].
2. Comment donc faut-il entendre ces mots « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », si Dieu refuse aux fidèles, même pour leur bien, les choses qu’ils lui demandent ? Devons-nous Croire que cette parole n’a été adressée qu’aux Apôtres ? Loin de nous cette pensée. Ce qui, en effet, a amené le Christ à prononcer cette parole, c’est qu’il avait dit plus haut : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes ». Ç’a été le sujet du précédent discours. Pour nous empêcher de nous attribuer ces œuvres plus grandes, et montrer que c’est encore lui qui les faisait, il ajoute : « Parce que je vais à mon Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Est-ce que les Apôtres sont les seuls qui aient cru en lui ? En disant : « Celui qui croit en moi », il s’adressait à tous ceux au nombre desquels, grâce à lui, nous nous trouvons nous-mêmes, et pourtant, nous ne recevons pas tout ce que nous demandons. Mais, à ne considérer que les bienheureux Apôtres, nous voyons que celui ; qui a travaillé plus que tous les autres, ou du moins avec qui la grâce de Dieu a le plus travaillé [5], a trois fois demandé au Seigneur que l’ange de Satan s’éloignât de lui ; néanmoins il n’a pas obtenu ce qu’il demandait[6]. Que dire, mes très-chers frères ? Penserons-nous que cette promesse ainsi exprimée : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai », n’a pas été accomplie même pour les Apôtres ? À l’égard de qui tiendra-t-il donc ses promesses, s’il a ainsi trompé ses Apôtres ?
3. Éveille-toi, ô homme fidèle, et remarque attentivement la condition exigée ici : « En mon nom » ; il n’est pas dit : « Tout ce que vous demanderez », de quelque manière que ce soit ; mais il est dit : « en mon nom ». Et Celui qui nous a promis un si grand bienfait, comment s’appelle-t-il ? Il s’appelle Jésus-Christ : Christ signifie roi, Jésus signifie Sauveur. Il est sûr que celui qui nous sauvera, ce n’est pas un roi quelconque, ce sera le roi Sauveur. Par conséquent, tout ce que nous demandons contre le bien de notre salut, nous ne le demandons pas au nom du Sauveur. Et cependant il est toujours Sauveur, non seulement quand il fait ce que nous demandons, mais même quand il ne le fait pas. Car dès lors qu’il nous voit demander des choses opposées à notre salut, il se montre vraiment notre Sauveur en ne nous les accordant pas. Dans les demandes des malades, le médecin distingue ce qui est favorable à leur santé, et ce qui peut lui être contraire ; c’est pourquoi, lorsque l’infirme demande ce qui peut lui faire du mal, le médecin le lui refuse dans l’intérêt de sa santé. Ainsi en est-il pour nous : si nous voulons que Notre-Seigneur fasse tout ce que nous demanderons, ne demandons pas d’une manière quelconque, mais demandons en son nom, c’est-à-dire au nom du Sauveur, ne demandons rien qui soit contraire à notre salut : car s’il le faisait, il n’agirait plus comme Sauveur ; et pourtant, voilà ce qu’il est pour ses fidèles. Car, pour les pécheurs, il est leur juge, tandis que pour les fidèles il est assez bon pour être leur Sauveur. Quand donc on croit en lui, tout ce qu’on demandera en ce nom qu’il porte comme Sauveur de ceux qui croient en lui, il le fera parce qu’il le fait comme Sauveur. Mais si celui qui croit en lui demande par ignorance quelque chose qui soit contraire à son salut, il ne demande pas au nom du Sauveur. Car Jésus

  1. 1 Tim. 4, 4
  2. Rom. 14, 20
  3. Gen. 3, 6
  4. Id. 25, 34
  5. 1 Cor. 15, 10
  6. 2 Cor. 12, 8