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l’homme qui est nu, l’orgueil lui donne aussi des vêtements ; la charité jeûne, l’orgueil pareillement ; la charité ensevelit les morts, l’orgueil ne les laisse point privés de sépulture. L’orgueil se remue en face de toutes les bonnes œuvres que veut faire et que fait la charité : il conduit, en quelque sorte, ses chevaux ; mais la charité est intérieure, elle ne laisse pas de place à l’orgueil mal inspiré : je ne dis pas, occupé à de mauvaises œuvres, mais mal inspiré. Malheur à l’homme dont le cocher est l’orgueil ; il faut, de toute nécessité, qu’il tombe dans le précipice. Quand l’orgueil est le mobile des bonnes œuvres, quelqu’un le sait-il ? Qui est-ce qui le voit ? A quel signe le reconnaître ? Nous voyons des œuvres : la charité nourrit les pauvres, l’orgueil en fait autant ; la charité est hospitalière, l’orgueil aussi ; la charité s’entremet en faveur du pauvre, l’orgueil agit de même. Qu’est-ce à dire ? Nulle différence sensible entre toutes ces œuvres. J’ose dire quelque chose, mais ce n’est pas de moi-même, car c’est Paul qui l’a dit : La charité meurt, ou, en d’autres termes, l’homme qui a la charité, confesse le nom du Christ et va au martyre ; l’orgueil fait une confession pareille, et marche aussi au supplice : l’un a la charité, l’autre ne l’a pas. Pour celui qui n’a pas la charité, qu’il écoute ces paroles de l’Apôtre : « Quand je distribuerais tout mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien[1] ». L’Ecriture divine veut donc nous faire négliger la pompeuse apparence dont se revêtent ces œuvres extérieures, et pénétrer jusqu’à leur nature intime : de ces dehors orgueilleux qui frappent les regards du public, elle veut nous faire passer à la réalité même des choses. Reviens à ta conscience, interroge-la. Ne t’arrête pas à considérer la fleur qui brille aux yeux, remarque la nature de la racine qui se trouve en terre. Est-ce la cupidité qui est enracinée dans ton cœur ? Ses œuvres peuvent sembler bonnes, mais elles ne peuvent l’être réellement. Est-ce la charité ? Alors, sois tranquille ; elle ne peut rien produire de mauvais. L’orgueilleux est flatteur, l’homme qui aime est sévère : le premier donne des vêtements, le second une correction ; celui-ci veut rendre meilleur, celui-là veut plaire. Les blessuresfaites par la charité sont plus profitables que l’aumône donnée par l’orgueil. Rentrez donc en vous-mêmes, mes frères, et, dans tout ce que vous faites, portez vos regards sur le Dieu qui vous voit ; et, puisqu’il vous voit, voyez vous-mêmes quels sont les mobiles secrets de vos actions. Si votre cœur ne vous accuse pas de vous conduire sous l’impression de la vaine gloire, c’est bien :'soyez tranquilles. Toutefois, lorsque vous faites bien, ne craignez pas que les autres vous voient. Crains plutôt d’agir dans l’intention d’être louangé ; que les autres te voient, et qu’ils louent Dieu. Si, en effet, tu te dérobes aux regards de tes semblables, tu leur ôtes l’occasion de t’imiter, tu mets obstacle à ce que Dieu soit glorifié. Il en est deux auxquels tu fais l’aumône ; ils ont besoin l’un de pain, l’autre de justice. Entre ces deux hommes, qu’on peut également appeler du nom de faméliques, car il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[2] » ; entre ces deux faméliques, tu as été placé pour faire le bien ; si la charité est le principe de tes actions, tu prends pitié de l’un et de l’autre, tu veux pourvoir aux besoins de tous les deux. Celui-ci cherche un morceau de pain qu’il puisse manger, celui-là, un exemple à imiter. Tu donnes du pain au premier, donne-toi au second ; ainsi, tu auras fait l’aumône à chacun d’eux : l’un te sera reconnaissant de ce que tu auras fait disparaître la faim qui le tourmentait : l’autre sera devenu l’imitateur de l’exemple que tu lui auras donné.


10. Comme hommes de miséricorde, ayez donc compassion d’autrui, car, par cela même que vous aimerez vas ennemis, vous aimerez vos frères. Ne vous imaginez pas que Jean ne vous ait rien commandé par rapport à l’amour de nos ennemis ; car il n’a point passé sous silence la charité fraternelle. Vous aimez des frères. Comment, diras-tu, aimons-nous en eux des frères ? Je me demande pour quel motif tu aimes un ennemi : pourquoi l’aimes-tu ? Pour qu’il jouisse de la santé dans le cours de cette vie ? A quoi bon la santé, si elle ne lui est pas avantageuse ? Pour qu’il soit riche ? A quoi bon les richesses, si elles doivent l’aveugler ? Pour qu’il se marie ? A quoi bon une femme, si elle doit empoisonner son existence ? Pour qu’il ait de lafamille ?

  1. 1 Cor. 13, 3
  2. Mt. 5, 6